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CHAPITRE

VIII


– REGARDE comme il est joli !

Hélène s’asseyait devant la grande glace encadrée de bois doré. Elle jouait à la cliente, posant sur le socle de ses cheveux blonds le chapeau large comme une ombrelle et où, suivant la mode du jour, s’échafaudaient rubans, oiseaux, fleurs artificielles et plumes d’autruche. Ainsi parée, elle souriait à l’image que lui renvoyait le miroir. Autour d’elle ce n’était que couleurs et fanfreluches, depuis l’arrière-boutique où tout cela était en vrac comme si un jardinier eut vidé là son panier, jusqu’à la devanture où trois têtes de bois, écrasées sous les chapeaux massifs, fixaient de leurs yeux vides la rue peu passante.

Michel regardait sa mère en souriant lui aussi. Depuis la mort du père, depuis surtout qu’ils avaient quitté la petite maison de la rue Notre-Dame pour celle-ci où la veuve avait ouvert boutique de modes, une plus grande et plus douce intimité régnait entre eux. Le fils avait maintenant l’impression qu’il vieillissait plus vite que sa mère ; car elle gardait une fraîcheur de visage et d’esprit, une insouciance que ses trente-six ans n’avaient pas fanées. De sorte que Michel, plus vieux, croyait-il, que ses dix-neuf ans, semblait près de rejoindre Hélène. Par moments, il se sentait presque son frère.

Il la regardait avec une tendresse un peu taquine, un peu protectrice déjà. Il constatait avec joie qu’elle était toujours jolie. Telle qu’il la voyait en ce moment, faisant des coquetteries dans la glace, cherchant les attitudes des mannequins de cahiers de modes, il s’amusait à recevoir d’elle une double image, de face et de dos à la fois. Tout près, une nuque fine comme une tige de fleur et où frisottait le duvet mordoré que le peigne fiché dans le chignon haut ne pouvait contenir ; et dans le miroir, comme un tableau, le visage aux lèvres roses entr’ouvertes et les yeux bleus un peu enfantins sous l’édifice immense et luxuriant de la dernière création.

Car elle était heureuse, tout simplement, sans surprise, comme s’il n’eût pu en être autrement. Les heures passaient, dans la boutique étroite, à construire des chapeaux d’un goût désordonné, quelque peu voyant mais toujours, comme elle, pleins de fraîcheur. Elle s’inspirait des derniers cahiers venus de Montréal, cousant avec une application adroite les rubans

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