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LE POIDS DU JOUR

— Elle est dans sa chambre… Maman ?… Maman !…

— Laisse faire, Michel ; je vais monter la voir. J’ai à lui parler. Mais Hélène avait entendu et descendait déjà l’escalier.

— Bonjour, monsieur Lacerte.

— Bonjour Hélène. Comment est-ce que ça va ?

— Ça va bien ; ça va très bien.

— Tant mieux ; tant mieux. J’ai pas mal de choses à te dire… Ça s’arrange, tu sais.

À ce point, monsieur Lacerte parut hésiter. Il se tourna légèrement du côté de Michel qui écoutait, attendant des précisions. Ce qui s’arrangeait, c’était évidemment leur vie, la sienne, celle de demain, d’après-demain et des jours suivants. C’est tout cela qui se décidait pour lui et en dehors de lui. Il comprit qu’on ne tenait pas à sa présence. Mais il se sentait homme désormais. Il avait le droit d’être là ; et ce droit il entendait l’exercer. Il y eut un moment de silence tendu qu’Hélène rompit enfin.

— Écoutez, monsieur Lacerte, c’est aussi bien de parler devant Michel. Il est assez vieux maintenant.

— Tu as raison après tout. Michel, viens t’asseoir, nous allons parler tous les trois de choses sérieuses. D’abord je me suis informé pour les assurances. Ludovic avait une police de mille piastres sur sa vie ; mais il n’a pas payé les primes depuis deux ans. Si j’avais su… Mais il n’y a plus rien à faire. C’est trop tard.

— Alors ça ne vaut plus rien ? soupira la mère.

— Non, ça ne vaut plus rien. Mais…

— Mais ton mari est mort en travaillant pour la compagnie ; on peut réclamer. L’accident n’est pas de la faute de Ludovic ; donc c’est la faute de la compagnie. Je pense que sans faire de procès tu pourrais avoir deux ou trois mille piastres. Ça, ça va bien. Bon. À part ça, j’ai vu madame Lang. Elle est prête à quitter son logement, celui de la Grande-Rue, pour la fin du mois. Avec quelques petites réparations que je ferai faire, tu vas pouvoir installer ton magasin de chapeaux.

— Non !

Le visage d’Hélène riait d’une joie enfantine.

— … Que je suis contente !

Pour un peu, elle eût battu des mains et sauté comme une petite fille.

— Il y a longtemps que tu rêves de ça ; eh bien ! tu vas l’avoir. D’abord ça va t’occuper. Comme tu ne connais pas les affaires, je te donnerai un coup de main, pour commencer. Pas tous les jours, par exemple, parce que…

Il avait pris un ton important et mystérieux qui éveilla la curiosité de la mère et du fils.