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HÉLÈNE ET MICHEL

yeux voir le sang couler, non pas goutte à goutte mais en un jet mortel. Ce n’était qu’un filet, qui lentement descendit sur le pantalon gras où il fit une traînée rouge, savoureuse.

L’ivrogne ne disait plus rien. Brusquement il haussa les épaules, s’essuya les doigts sur sa chemise et sortit.

Michel bondit vers le coin où gisaient les débris de son instrument. À genoux, il les recueillit de ses mains qui tremblaient. Il chercha à retrouver dans ces informes éclats l’objet de sa joie et de ses rêves. Rien ne subsistait plus : quelques cordes, qui lamentablement pendaient, des éclats de bois verni, une odeur de bois fraîchement ouvert. Rien autre.

Alors de toutes ses forces, à son tour, il jeta sur le parquet le cadavre de son violon. Ses pieds rageurs achevèrent la destruction. Il sentait en lui un effroyable chaos : les vagues de son chagrin qui battaient à coups rythmés le roc de sa colère. Il hésita un moment, près de s’écraser.

À pas durs, il passa dans la cuisine, ouvrit le robinet et fit couler sur sa tête un flot brutal d’eau glacée.