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HÉLÈNE ET MICHEL

Cela avait commencé par des injures qui, personnelles d’abord, s’étaient rapidement abattues sur les parents de chacun des contestants. Finalement Bouteille avait traité le fils de Ludovic de « racleux de boite à musique ». Basile devait ne chercher que l’occasion car il était subitement intervenu, avait pris en face du petit voyou la place de Michel et, le nez sous celui de son adversaire, lui avait dit les dents serrées :

— Bouteille, tu vas te la fermer. Tu vas te la fermer, Bouteille ! Michel peut gratter son violon tant qu’il voudra, c’est son affaire. Pour toi, va donc demander à ta sœur ce qu’elle faisait samedi soir derrière la pile de planches, dans le clos à bois !

Michel avait été oublié ; les deux bantams s’étaient sauté dessus, réglant visiblement des comptes accumulés. Le fils de Lafrenière s’était fait sonner, ce qui lui avait valu une raclée supplémentaire de son père qui ne supportait pas que son fils eût le dessous. Depuis ce temps Bouteille n’avait plus agacé Michel.

D’autres camarades étaient disparus pour toujours : Baptiste Gauthier, mort de diphtérie, et Almanzor Latour, on ne savait de quoi ; et Fortier Froment, un cousin de Marie-Claire, noyé dans la rivière du Loup, un jour de grande chaleur.

Ceux qui restaient s’allaient maintenant disperser, les uns au large dans le vaste monde, les autres à l’étroit dans le monde local et restreint qui se refermerait sur eux pour toujours. Ils étaient aujourd’hui rassemblés, et pour la dernière fois, dans le carrefour où s’amorçaient tant de routes différentes dont leurs yeux ne voyaient que l’entrée et qui se perdaient plus loin dans la futaie de leurs illusions.

Des compagnons de Michel, presque tous connaissaient déjà le chemin où ils s’engageraient pour la vie. Il leur était indiqué de façon péremptoire par ceux dont ils dépendaient. Pour la plupart, les fils d’ouvriers deviendraient ouvriers. Ils pousseraient le rabot, manieraient l’alène, forgeraient le fer, tailleraient le drap, aux côtés de leur père dont ils prendraient plus tard la place avant de la passer à leurs enfants. Les fils de l’épicier noueraient le tablier blanc ; le fils du marchand se mettrait à mesurer de la cotonnade ; quant aux fils de paysans, ils rentreraient dans le giron de la terre paternelle, prendraient les rênes de cuir ou de chanvre, saisiraient la fourche au manche poli par l’usage ; et, ayant pour toujours fermé les livres, retrouveraient la vie large et prosaïque de la ferme.

Pour Michel il n’en était pas ainsi et le destin ne s’était point prononcé. Les derniers jours avant la libération, les condisciples réunis dans la cour de récréation, abandonnant les jeux ordinaires, s’étaient laissés aller à parler de demain, de leurs projets, de leurs espoirs ; les uns avec enthousiasme, les autres avec une résignation un peu gênée. Tous pourtant