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LA SOUMISSION DE L’HOMME

— Te remarier ?…

— Oui. Cette fois-là, devant un prêtre. Ça va peut-être m’apporter la luck.

Là encore le père se tut quelques instants. Puis il exprima la révélation qui subitement lui était venue :

— Mais, c’est vrai ! Tu peux te remarier ! Parce que, comme ça, tu n’étais pas marié pour vrai. Mais, pas marié en toute. Ça ne compte pas.

Il eut un soupir de soulagement. Ainsi, Lionel pourrait recommencer sa vie. S’il décidait de rester au Canada comme cela semblait possible, il épouserait une jeune fille de Montréal, agréable, jolie, riche.

Ils s’étaient arrêtés sous un arbre lourd de fruits. Un bruit mat. Une pomme était tombée devant eux sur le paillis. Machinalement, Lionel la prit et la fit sauter dans sa main. Puis il y mordit. Mais rouge au dehors, elle n’était point mûre encore. Crachant la bouchée dans l’herbe, il lança le fruit au loin, d’un geste précis et fort de lanceur de base-ball.

And this time, compléta-t-il en anglais, this time, I am going to marry into money.

C’est quinze jours plus tard que le fils fit part à son père de ses projets. Depuis six semaines il était parmi eux.

Père et fils étaient sortis sur la terrasse, après le dîner. Du jardin en contre-bas montaient vers eux des bouffées de parfum où se mêlaient l’alysse et l’entêtante giroflée. Dans la cuisine, Jocelyne lavait en chantant la vaisselle du repas. Quant à Adrien il était retourné à sa machine à écrire.

— Tu sais, Dad. Il faut que je m’en retourne. Dans une dizaine de jours.

— Ah ! Il n’y a pourtant pas longtemps que tu es avec nous. Tu as besoin de repos. Et tu n’es à peu près pas allé à Montréal encore.

— Il faut que je m’en retourne.

— Bon ! S’il le faut ! Et pour combien de temps ?

— Je ne sais pas quand je reviendrai. J’ai toutes mes affaires de l’armée à régler.

— Et après ?

— Après ? Je m’en vais pas mal loin.

— Mais Philadelphie, ce n’est pas loin. Une nuit en train.

— Je ne m’en vais pas à Philadelphie. En Floride.

— Qu’est-ce que tu vas faire là ?

— Je vais avoir une agence de Ford, le taxi et un garage. Avec ce que je vais recevoir de l’armée : mes arrérages de deux ans et mon argent de démobilisation, ça va faire de quoi me lancer en affaires.

— Mais pourquoi en Floride ?