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LA SOUMISSION DE L’HOMME

difficile à présent que de faire réapparaître le petit Michel, celui de la musique et des oiseaux.

Atténué par l’âge qui lentement émiettait ses forces, touché par le temps qui lentement rouillait sa violence, il lui devenait moins facile de soulever le poids de sa haine pour la brandir comme autrefois.

— Papa. Papa ! Veux-tu me surveiller Michel un moment ? Oh ! pas longtemps. Le temps d’aller en haut lui chercher des chaussons secs. Il est tout mouillé. Je te dis, ce n’est pas un enfant : c’est une éponge !

Et Jocelyne de rire. Elle savait combien son père était peu familier avec les enfants.

Le printemps vint apportant les jours tièdes et par eux les bourgeons et les fleurs. Pour Jocelyne, ce printemps ne fut pas comme les autres : car à son Michel il apporta deux dents.

La maternité n’avait donné à son esprit qu’une maturité relative. Avec son fils, elle semblait plutôt une petite fille jouant à la poupée. La gravité, d’ailleurs, ne lui seyait guère.

Physiquement, elle restait étonnamment inchangée. C’est à peine si ses cheveux avaient légèrement foncé ; leur or avait une teinte plus chaude à l’œil. Ses yeux pâles faisaient toujours dans le visage doux deux taches d’un bleu aimable qui faisaient oublier ses pommettes un peu saillantes et le nez boulu des Garneau. Ses joues s’étaient avivées. Pour la première fois de sa vie, elle constatait :

— C’est extraordinaire, mais j’ai des couleurs à moi.

Robert lisait les nouvelles de la guerre. Il avait déjà parlé de préparer une chambre pour Lionel. On prendrait à l’étage, à côté de la chambre des époux, la petite pièce dont on s’était servi comme chambre de bonne, puis comme débarras, et enfin comme nursery.

— Il faudrait pourtant que tu prennes l’auto et que tu ailles acheter ce qu’il faut pour l’arranger, cette chambre.

— Voyons, papa ! Nous avons le temps. Et les chemins sont bien mauvais pour courir les rangs. Sans compter que notre vieille voiture a joliment besoin de réparations.

— C’est ça. Et la première chose que l’on saura, c’est que Lionel arrive et que sa chambre n’est pas prête.

— Tiens ! plaisanta la jeune femme. Est-ce que les journaux d’aujourd’hui annoncent la fin de la guerre ?

— Tu ris ! Mais du train où ça va, on peut s’y attendre d’un jour à l’autre. C’est la fin.

Les nouvelles, en effet, étaient excellentes. L’armée allemande fondait comme glace au soleil. Robert reprit son journal.