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CHAPITRE

XIII


– APRÈS cela, du froid, puis du soleil, et ce sera une splendeur ! dit Jocelyne.

Elle jeta un coup d’œil à la fenêtre dont les vitres ruisselantes de pluie déformaient le paysage.

— Oui, beau à voir ! Mais dans la côte, glissant à se casser la margoulette, protesta Adrien.

— Et ça en fait du dommage au verger ! ajouta le père.

En plein janvier, le temps s’était paradoxalement radouci. Il pleuvait depuis le matin comme en automne. Une croûte dure et brillante couvrait déjà la neige et cruinchait sous le pied.

— Mais c’est tellement beau ! s’entêta la jeune femme. Il n’y a rien au monde de plus merveilleux à voir. Un vrai jardin de fées… Passe-moi le chocolat.

— Tiens.

Elle était à préparer un colis pour Lionel. Un chaque mois. Elle se le figurait ouvrant la boîte et y trouvant le café, le savon, les lames de rasoir, les conserves, le chocolat et souriait elle-même comme il sourirait assurément alors.

— Vous vous rappelez ? En novembre il a fait un temps de même. Et au soleil du matin, chaque arbre avait l’air d’un lustre allumé.

— Et nous avions deux pommiers fendus du haut en bas. Complètement. Un beau dégât !

— Pas étonnant qu’il pleuve, dit Léger : on voyait nettement les montagnes des États-Unis, hier. C’est signe de mauvais temps. Je vous l’ai dit. C’est infaillible.

— Bah ! c’est toujours la même chose, ces signes-là. Comme dit l’autre : « Quand on voit les montagnes, c’est qu’il va pleuvoir. Quand on ne les voit, c’est qu’il pleut ».

Mais il le disait de bonne humeur.

— Tu veux finir la boîte pour moi, mon chéri ? Je me sens un peu fatiguée.

À pas glissés, Jocelyne s’en fut vers un fauteuil et s’y installa difficilement, gênée par son ventre qu’elle n’arrivait pas à caser.

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