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LE POIDS DU JOUR

On était au temps des fêtes quand, tôt dans l’après-midi, quelqu’un frappa à la porte. C’était par un jour de grand froid. En ouvrant, Garneau trouva, dans le porche amovible qui protégeait la porte contre la neige, un homme en bonnet de vison.

— Entrez, entrez. Qu’est-ce que c’est ?…

Puis il reconnut un prêtre à la soutane qui dépassait la pelisse.

— … Bonjour, monsieur l’abbé.

— Bonjour, dit l’arrivant. Monsieur Garneau, n’est-ce pas ?

Et sans attendre, il enleva son paletot, ses moufles et ses couvre-chaussures. Puis il se mit alternativement à se souffler dans les mains et à s’en flageller fortement les flancs pour rétablir la circulation. Pourtant son crâne dégarni était emperlé de sueur.

— Il fait un fret’ noir. Mais on transpire quand même à monter la côte à pied. L’auto est restée en bas. C’est trop glissant.

— Eh oui ! Il y a de la glace. Et c’est à pic.

— Je ne vous dérange pas, j’espère ? Je suis l’abbé Gendreau. J’avais dit à madame Léger que je viendrais vous voir un de ces jours. C’est le temps. Le temps des fêtes, pour un bon Canayen, c’est le temps des visites.

Sans attendre une autre invite, il s’était avancé dans la salle, bien à l’aise. En prêtre qui a l’habitude d’être le bienvenu dans tous les foyers ; d’être partout chez lui ; habitué à se voir offrir le meilleur fauteuil et, dans les dîners, le premier choix entre la poitrine et le pilon de la volaille.

— Asseyez-vous, asseyez-vous, dit Garneau.

Instinctivement, il eut un regard vers l’escalier. Et il avait atténué l’éclat naturel de sa voix.

— Est-ce qu’il y a quelqu’un de malade ? Madame Léger ?

— Non, non. Elle est simplement montée se reposer un peu. Vous savez que…

Il hésita un moment, ne sachant comment dire à un prêtre :

— … Vous savez que son temps est pas mal proche.

Tempus prope est, cita le visiteur en souriant avec mansuétude. Et sa main esquissa un geste de bénédiction dans la vague direction de l’escalier et des hauteurs de l’étage.

Garneau bénit intérieurement le hasard qui lui amenait ce Louisevillien un jour de semaine, où Adrien était au travail, et à l’heure où Jocelyne dormait. Peut-être ne resterait-il pas assez longuement pour qu’elle le vît.

L’abbé commença par expliquer sa présence à Saint-Hilaire. Aumônier chez les Frères, à la Pointe-du-Lac, il était venu passer quelques jours…

— … chez Cécile Duval. Elle est un peu ma parente. Son frère a marié ma plus jeune sœur. Vous avez dû la connaître, monsieur Garneau : Atala. Ma petite sœur Atala, une noire. C’est vrai qu’elle est beaucoup plus jeune que vous. Vous avez cinquante-huit, cinquante-neuf ?