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LA SOUMISSION DE L’HOMME

étaient moins voyantes ; et ses complets avaient répudié les grands carreaux de jadis. Il ne lui restait de Bouteille que le langage un peu épais et une bonhomie tapageuse.

De ce qu’il avait acquis, il devait beaucoup à Josette Dallin. Leur liaison, bien qu’intermittente, durait toujours. Dernièrement, on avait même dîné à trois, Josette, Hermas et Garneau, dans un débit d’huîtres près du marché Bonsecours. Pour mettre à l’aise Robert que la situation eût pu gêner, Lafrenière avait soin de la présenter comme « mademoiselle Dallin, ma secrétaire ». Elle l’appelait « monsieur Lafrenière », le plus sérieusement du monde.

Robert avait retrouvé une Josette un peu vieillie, grisonnante et boulotte. Tout l’opposé de Marie-Claire, de madame Lafrenière, qui maintenant amaigrie et les cheveux roussis au henné avait, avec l’âge, pris de l’éclat. Car tandis que madame la Mairesse affichait des chapeaux flamboyants, des robes à paillettes et des bagues à chaque doigt, Josette Dallin était restée fidèle à ses blouses et à ses tailleurs de cheviote. Elle ne portait de bijou qu’un médaillon sans valeur et de vieux style. Des deux, c’était la « secrétaire » qui avait l’air d’une bourgeoise. Et surtout, elle avait gardé inchangé son même caractère accommodant.

— Tu sais, mon vieux, elle a pas mal de parts de la Lorraine Gold et de la Freniere Metals. Elle peut dormir tranquille, avait déclaré Hermas, tout heureux de jouer les grands seigneurs et d’annoncer qu’il avait doté sa maîtresse.

Josette avait haussé ses bonnes épaules et souri. Mais elle l’avait ensuite embrassé sur la joue d’un air amusé et quasi maternel :

— C’est un gros habitant, notre Hermas. Mais il ne s’en fait pas beaucoup comme cela, savez-vous.

Le maire de Val-d’Or avait eu la moue heureuse d’un enfant que l’on vante d’avoir été premier en classe.

Quand vint l’automne, puis l’hiver, Jocelyne fut de plus en plus souvent alitée. Par prudence, d’ailleurs. Traîner sa bosse lourde et encombrante la fatiguait un peu. Elle était énorme et ne pouvait guère travailler. Léger se demandait même :

— Jocelyne, ma chérie. Gageons que tu vas avoir des jumeaux ! Au moins.

Levée tard et couchée tôt, elle passait les journées près de son mari ou de son père, sur un vieux pouf qu’elle avait adopté. Adrien lisait près d’elle en lui caressant machinalement la nuque ou l’épaule pendant qu’elle ourlait des couches en série :

— Et encore une !… Ça fait deux douzaines.