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LA SOUMISSION DE L’HOMME

qu’elle avait naguère abandonné dans les larmes et qu’elle avait, depuis peu, repris dans la joie.

Sans le retirer de la vie active, son médecin avait recommandé à Léger quelques précautions de santé. Le retour à la ville serait remis à un an ou deux. En outre, il valait mieux qu’il prît chaque jour si possible un peu de repos. Aussi bien cela lui était-il la meilleure des excuses pour n’avoir pas à participer aux travaux de la maison ou du jardin.

Il aimait certes la campagne. Mais il l’aimait d’une façon singulière. Comme souvent les gens de la ville, il y voyait une espèce de spectacle, un tableau des dimanches. Il y trouvait une poésie statique que l’homme devait se garder de troubler par des mouvements qui n’ajoutaient rien au large rythme de la nature. Il lui eût paru souhaitable que les fruits restassent aux arbres, les roses en bouton ; que le busard se contentât de planer noblement sans toucher jamais aux écureuils gracieux. Il en voulait à l’automne de venir faner l’été, comme il en avait voulu à l’été d’avoir terni les feuilles et séché les violettes. Il regrettait les arrosages chimiques qui protégeaient bien les fruits mais au dépens des lucioles, des coléoptères à la carapace verte si bizarrement géométrique, des chermès écarlates, minuscules gouttelettes de sang dont il suivait le cheminement avec curiosité.

Le père non plus ne travaillait guère aux menus travaux domestiques. Il avait le souffle court et des palpitations au moindre effort. Mais il y voyait de son mieux, mettant son orgueil à avoir des légumes qui fussent beaux et des fleurs qui fissent s’écrier les visiteurs, Lafrenière ou Geneviève Lanteigne. Il ne sortait point sans son sécateur.

Secrètement il allait voir son médecin tous les mois.

C’était Jocelyne dont la santé était la meilleure. D’être enceinte la faisait s’épanouir. Ses traits ne s’étaient point masqués ni ses yeux tirés ; et elle échappait cette fois aux ennuis fréquents des débuts de grossesse. C’est avec allégresse qu’elle portait son fardeau encore à peine perceptible.

Ils étaient deux qui la guettaient constamment, qui voyaient en chaque meuble, en chaque pierre un piège tendu. Ces soins lui faisaient les jours savoureux et aimables.

— Attention ! il y a un creux dans l’herbe, disait Crétac dans le verger.

— Il ne fait pas chaud ce soir, mets quelque chose sur tes épaules, disait Adrien en partant pour la promenade… Tu es sûre au moins de ne pas être trop fatiguée pour aller marcher ?

— Laisse-moi tranquille, protestait-elle, riante. Mais elle était heureuse de cette surveillance qui faisait d’elle la reine incontestée de leur petit monde. Elle avait le sentiment de porter en ses flancs la promesse splendide d’une vie plus belle et pour elle et pour ceux qui l’entouraient.