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CHAPITRE

XII


– OH  ! Si ça continue, il ne me restera pas une cerise, cette année. Moi qui les aime tant. Regardez !

— Il n’y a qu’à mettre un peureux, dit Gagnon. Par exemple une vieille chemise à monsieur Garneau. Je vous l’installerai au beau milieu de l’arbre, sur un bâton en croix. Les mangeux-de-cerises vont laisser vos cerises tranquilles.

— Oui, mais,… Alors, ils n’auront plus à manger ! Et ils sont si jolis, reprit Jocelyne avec un illogisme déconcertant. Pourtant, je voudrais bien garder mes cerises.

— Comme vous voudrez, dit le boiteux. Vous me le direz.

Ils se tournèrent vers la maison. Les oiseaux se jetèrent sur les fruits.

— Pétrus ! dit Garneau, quand est-ce que tu vas faire quelque chose pour les rosiers de Jocelyne ?

Il disait « les rosiers de Jocelyne » ; mais il disait « mon verger ».

— Oui, monsieur Garneau.

— Les poux les mangent ! Ça n’a pas de bon sens !

— Bien, monsieur Garneau. Lundi, sans faute.

Le père était ce jour-là d’humeur harassante. Depuis quelques jours d’ailleurs. Depuis que ralentissant leur avance, les armées alliées semblaient temporairement hésiter et reprendre haleine. Visiblement, les hostilités en Europe se prolongeraient dans l’année suivante.

— Mais qu’est-ce qu’ils font ? Qu’est-ce qu’ils font donc ? disait-il en laissant tomber son journal. Du train où ils vont, jamais nous ne gagnerons la guerre pour Noël. Vrai ! Si on avait Patton à la place de Eisenhower, il y aurait belle lurette qu’on serait à Berlin. C’est à se demander si sans nos amis les Russes, nous arriverions à quelque chose !

Adrien avait ramassé le journal et y jetait un coup d’œil.

— Mais, c’est encourageant, monsieur Garneau.

— Encourageant ! Encourageant ! Tu n’est pas difficile. Je me demande aussi pourquoi Hitler ne dételle pas tout de suite. Il voit bien pourtant qu’il est battu.

Adrien ne répondait pas.

Étendu sur une chaise longue, il faisait une heure de cure. Jocelyne, assise par terre à ses côtés sur un coussin, tricotait ce vêtement d’enfant

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