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LA SOUMISSION DE L’HOMME

pourrait graduellement englober tous les groupes isolés. Et même se lancer dans le camionnage inter-urbain. Faire pour le camionnage ce que la Compagnie Provinciale de Transport avait fait pour l’autobus. Il y avait gros à gagner. Dans cinq ans…

En tout cas, qu’il commence seulement par revenir ! reprenait Jocelyne. C’est tout ce que je demande.

Garneau retournait à son journal.

Il n’y lisait désormais que les titres des grandes nouvelles et deux rubriques : la guerre et les nécrologies. Dans cette dernière colonne, il lui arrivait souvent de rencontrer des noms connus. Il s’était mis aussi à regarder les dépêches de Louiseville. C’est ainsi qu’il avait appris la mort du cadet des frères Grosbois.

Quant au conflit mondial, même l’avance rapide des armées alliées à travers la France ne suffisait pas à sa hâte. Il voyait tous ces millions de soldats, ces masses de canons, ces hordes de machines, tout cela lancé vers un but qui pour lui se réduisait à la libération de son fils. Le moindre raidissement allemand le troublait. Il craignait aussitôt que ce ne fût que le prélude à un renversement de fortune. Pendant si longtemps on avait cru à l’invincibilité de Hitler ; et telle était la somme de prestige accumulée par le formidable tank nazi en quatre années d’entreprises mécaniquement victorieuses.

Puis on apprenait que Caen et Rouen étaient dépassés. Alors il se laissait emporter :

— Je vous le dis ! La guerre va être finie dans deux mois. Et ils seront ici pour Noël !

— Oui. Mais il restera le Japon.

— Oh ! quand il n’y aura plus que cela ! Quel peuple tout de même que ces Américains ! Sans eux, qu’est-ce que ferait la pauvre petite Europe ! Et quels aviateurs ! C’est eux qui ont gagné la guerre.

Du coup les gens oubliaient les heures sombres de 1941 où cette même Germanie, aujourd’hui échevelée et tapie peureusement sous les bombes, mais alors casquée et sanglante, était victorieusement assise sur le monde entier. Même dans les apartés, on ne parlait plus désormais de l’ « écroulement de l’Empire britannique ». Les pires nationalistes renonçaient au rêve d’une république laurentienne patronnée par le Fuehrer et le Duce. La Russie était devenue « notre vaillante alliée » et l’on avait même réédité le fameux « rouleau russe » de 1914. Le soulagement d’aujourd’hui faisait éclatante de promesse l’aube de demain. D’ici on entendait sonner l’hallali des bêtes mauvaises. Les hommes les plus pacifiques parlaient sérieusement de faire passer tout le peuple allemand, hommes, femmes et enfants, par les chambres à gaz. On garderait Hitler pour une pendaison