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LA SOUMISSION DE L’HOMME

— Non. Je pense que c’est un cousin de cousine Cécile par sa mère à elle.

Garneau ne dit rien. Il eut un long soupir secret.

À quoi bon s’entêter, chercher une impossible évasion. Il était pris dans la ronde des ombres dont les mains se nouaient en cercle autour de lui. Il n’en revenait pas de voir encore apparaître, nets et calmes, tous ces visages de si longtemps oubliés.

Oubliés vraiment ? Ce qui a déjà existé peut-il cesser d’avoir été ? Il savait bien que jamais, en vérité, ils n’avaient cessé de vivre en lui d’une vie obscure, quand même il les avait rejetés violemment dans l’abîme, quand même il avait éteint sur eux la lumière de sa conscience. Toujours ils avaient survécu en lui, invisibles, mais présents. Et maintenant, déchaînés par la voix chantante de Jocelyne, ils sortaient les uns après les autres des oubliettes de son passé ; glissant sans geste, ils venaient se ranger dans leur ordre naturel tout comme s’ils n’avaient jamais cessé d’être et d’agir.

Emportée par sa joie, par la victoire de sa joie sur ses chagrins récents, Jocelyne ne remarquait pas le silence de son père.

— Oh ! Je vais y retourner, papa ! Et il faut que tu viennes cette fois-là. Ce que la maison doit être charmante avec ses touffes de lilas et son vieux puits à brimbale. Elle est tellement gentille, cousine ! Elle m’a promis des plants de tomates roses et un pied de ciboulette pour mon jardin. Et des lys et des graines de pavot américain. Et surtout…

Le père avait pris sur la table un livre qu’il avait ouvert. Mais ses yeux ne lisaient pas.

— … et surtout, elle m’a parlé de grand-maman…

Le père avala durement.

— … Il paraît qu’elle était jolie, si jolie. Et blonde comme moi. Tout le monde l’aimait parce qu’elle était jolie et gaie et qu’elle ne disait jamais de mal de personne. Et elle m’a fait un gros plaisir, cousine Cécile.

— Cousine Cécile ?

— Mais oui. Je te l’ai dit qu’elle s’appelait Cécile. Elle m’a dit que je ressemblais pour vrai à grand-maman Hélène. Que je suis contente !

Ce soir-là, comme il faisait humide, Garneau but un verre de rye avec son gendre. Puis quand les autres furent montés se coucher, il en prit un second, plus fort. Afin de prévenir l’insomnie.

Il dormit parfaitement bien. Dans son rêve sa mère passa et repassa. Toute jolie, souriante et harmonieuse comme elle l’était à trente ans. Elle avait à la main, bizarrement, une tige de zinnia et donnait à Jocelyne une recette de coquetel dans laquelle entraient les choses les plus hétéroclites !

Il s’éveilla reposé.

Au dehors, le soleil déjà haut dorait les fenêtres et forçait les stores baissés. L’on entendait les gouttes qui, du toit, tombaient précipitées.