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LA SOUMISSION DE L’HOMME

— Promets-moi que tu vas y voir, papa. Adrien ne peut pas, lui, avec son travail.

Elle-même de temps à autre, pour voir s’il n’était pas encore temps de s’y mettre, descendait jusqu’à l’emplacement du potager irrégulièrement découpé dans le quinconce du verger. Le labour avait été fait à l’automne. Mais pour biner, il fallait attendre que la terre fût profondément dégourdie.

Adrien s’obstinait à vaincre la tristesse de sa femme. En vérité, la dépression ne pouvait être ni profonde, ni durante chez cet être naturellement optimiste et qui spontanément toujours se tournait vers demain. Il le savait. C’est pourquoi il avait apporté des livres que lui prêtait un compagnon de travail. Il s’était aussi abonné au Book-of-the-Month Club qui leur faisait tenir des romans américains copieux et prenants. Enfin ils attendaient le retour du beau temps et que les sentiers de la montagne fussent libérés pour reprendre leurs promenades. Il était allé jusqu’à acheter un volume de botanique populaire qui avait fait ouvrir à Robert Garneau des yeux étonnés.

— Que j’ai hâte à l’été, disait Jocelyne avec cette impatience de petite fille qui peu à peu lui revenait et qui apparemment ne la quitterait jamais tout à fait. Dans quelques semaines nous pourrons cueillir des fraises des champs. Je ferai des confitures.

Il y eut une excursion que proposa Adrien sitôt le temps adouci et les chemins solidifiés.

— Ça ne t’irait pas d’aller demain dimanche voir la cousine du rang des Étangs ?

— Quelle belle idée ! Tu viens avec nous, papa ? Tu l’as peut-être connue autrefois à Louiseville.

Caché derrière son journal, le visage de Robert Garneau resta insaisissable. Mais il dit d’une voix impatiente :

— Voyons ! A-t-on idée ? Tiens-toi tranquille, ma fille. Repose-toi. Ce n’est pas une promenade à faire. Les chemins sont encore tout défoncés. Surtout celui des Étangs qui n’est pas gravelé. Qu’est-ce que ça va te donner ?

— Mais papa !

— Des gens qui vont te dire bonjour ! bonjour ! en se demandant ce que tu viens faire et à qui tu n’auras rien à dire. Et tu vas nous revenir avec un rhume.

Adrien écoutait son beau-père dont la rudesse le surprenait.

— En allant lentement, et bien couverts, il n’y a pas de danger.

— J’ai tant de choses à lui demander, à cette cousine. Tu me parles si peu de Louiseville, toi, papa. Et jamais de mes grands-parents Garneau. On dirait que tu les oublies.