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LE POIDS DU JOUR

léthargiques, cette mince esquisse de vie, ce faible souffle premier donnait aux choses l’apparence de la résurrection.À cause de tout cela, nulle part le printemps ne pouvait être aussi glorieux.

Chaque jour les hommes entr’ouvraient un peu plus les portes et les fenêtres sur un azur encore sans ardeur. Déjà Jocelyne et Adrien pouvaient passer des moments de moins en moins brefs sur la terrasse à l’heure du fort soleil. Ils y restaient le plus paresseusement possible, enroulés dans des couvertures et des châles qui coupaient le vent et qu’il leur fallait même rejeter par instants quand triomphait le soleil nouveau.

Mains liées, ils parlaient de leurs projets, Adrien surtout. Il continuait d’écrire mais plus rarement, malgré que sa femme l’y poussât.

— Tu comprends, au sanatorium c’était tout ce que j’avais à faire : lire et écrire. Tandis que maintenant, après toute la journée au bureau à faire des écritures… Mais attends seulement que l’été soit revenu.

À l’automne il avait déjà dit :

— Attends que l’hiver soit arrivé. Enfermé dans la maison, j’aurai tout le temps.

Jocelyne avait besoin de repos. Son travail de cuisine et de maison terminé, elle s’étendait sur sa chaise longue pour y lire ou dormir. Elle se remettait lentement d’une fausse-couche qu’elle attribuait à la mauvaise nouvelle touchant Lionel. Son père avait ignoré sa grossesse commencée. Quand elle avait perdu son fruit, elle avait pleuré :

— Il me semble que jamais je n’aurai de premier enfant. C’était celui-là le premier.

Mais Adrien l’avait bercée de son mieux, sans pouvoir entièrement endormir son chagrin :

— Allons ! Allons ! Console-toi. Nous en aurons, des enfants. Tant que tu voudras ! Nous pouvons en être sûrs désormais. Et toi-même tu seras en meilleure santé. Tu supporteras mieux l’accouchement. Je t’avoue que cela m’inquiétait.

— Oui ! Mais penser que j’avais fini les trois premiers mois, les plus durs !

Adrien s’appliquait de son mieux à la distraire. Ce n’avait point été facile dans cette campagne que l’hiver faisait d’un vide constant, où les distractions n’existaient point, où chacun vivait sur lui-même, la réclusion de l’hiver accentuée par la distance entre ces cheminées fumant de loin en loin. Bien que l’on fût maintenant au seuil de mai, les nuits étaient encore rigoureuses dans la montagne. Il fallait chausser des bottes pour descendre la côte où, par endroit, une carapace de neige en apparence solide cachait un ruisseau glacé. On avait compté sur la préparation des deux jardins, fleurs et légumes, pour occuper l’esprit endolori de Jocelyne. Elle s’en était même fait une fête, à l’avance. Mais le médecin avait dit non.