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CHAPITRE

X


POUR  rentrer, Robert Garneau attendit le lendemain soir. Il ne se sentait guère pressé de revenir à Mont-Saint-Hilaire, bien que rien ne lui fût plus désagréable qu’une chambre de club.

Il passa la matinée chez un agent de change à regarder le garçon de tableau inscrire nonchalamment les huitièmes et les quarts de la cote boursière. Puis son lunch pris le plus tard possible, il ne sut que faire avant l’heure du train vespéral qu’il avait décidé de prendre. N’aimant point conduire, il se servait le plus rarement possible de la voiture. Pour tuer le temps, il entra sans regarder les affiches dans le premier cinéma venu. Quand il en sortit, il n’eut le temps que de manger un sandwich et de courir à la gare.

Dans le train bondé, il parcourut les journaux distraitement, retenant sans cesse son attention qui s’en échappait. Depuis la veille, quelque chose cherchait sournoisement à se faire jour en lui : une pensée, un souci qu’il ne voulait pas regarder en face. Que dirait-il, que répondrait-il aux questions de Jocelyne ? Pourquoi aussi ne s’était-il pas tu ? Et si simplement, il ne répondait pas ? Mais ne serait-ce pas avouer sa défaite ?

Au dehors, les champs étalaient de larges flaques de neige sale flottant sur les eaux grises. Il s’endormit sur son journal.

— Saint-Hilaire-Station !

En descendant, il bouscula maladroitement un autre voyageur.

— Faites donc attention !… Ah ! c’est vous, monsieur Garneau ! Pardon !

— Bonsoir, monsieur Poliquin. Vous venez voir vos électeurs de Rouville ?

— Oh ! je viens passer la fin de semaine à ma maison et voir à mon verger. On vous attend à la gare ?

— Non… Je ne pense pas.

— Alors, montez avec moi. J’ai retenu un taxi.

— Bien aimable. Vous me laisserez au magasin de Sansfaçon. J’y ai affaire.

Quand il entra dans la boutique, le timbre de la porte fit se retourner la compagnie qui y tenait séance, comme chaque jour après souper.

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