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LA SOUMISSION DE L’HOMME

pour une fois il lui plairait d’être interrogé ; que l’événement était trop fort pour ne pas rompre le cachet de sa discrétion. Quelque chose d’étonnant était apparemment sorti de cette enveloppe qu’il venait de glisser dans sa poche.

— Mais qu’est-ce qu’il se passe donc, papa ?…

Elle attendit un moment. Puis une idée la frappa, fulgurante :

— … Papa !… C’est Lionel qui vient à Montréal en congé ?

— Mieux que ça, ne put s’empêcher de dire le père. Une belle affaire ! Ah oui ! une belle affaire.

Mais devant le visage étonné, un peu rembruni même, de sa fille, il se reprit. Par habitude, il eût préféré tenir le couvercle fermé sur son secret. Mais n’était-ce pas enfin la récompense si longtemps cherchée, attendue ? Sa victoire sur la ligue des choses ennemies, des hommes contraires et du destin injurieux ? Sa justification, enfin, aux yeux de toutes ses connaissances, de son gendre, de sa fille, qui tous l’avaient cru vidé et l’avaient pris en pitié ? En pitié, lui ! Robert Garneau !

— Autant te le dire. Tu viendras bien à le savoir. Je vais en ville rencontrer Leblanc et un homme d’affaires américain. Le représentant d’une grosse firme, la Consolidated Equipment, de Toledo.

— Et à propos de quoi ? Ils veulent te prendre comme représentant au Canada ?

— Représentant ! Non. Tu ne me vois pas représentant l’affaire d’un autre. Non. C’est à propos de la Garneau Fire Pump.

Qu’il y avait longtemps que ces syllabes n’avaient passé sur ses lèvres ! Quel goût différent elles avaient aujourd’hui !

— Ah ! Je pensais que c’était fini, cette affaire-là.

— Fini !

Il mentit. Il mentit pour qu’elle crût non pas à sa chance mais bien à son flair, à son opiniâtreté, à son génie des affaires. Pour qu’elle crût que jamais un instant il n’avait douté.

— Qui a bien pu te mettre dans la tête que c’était fini ? Il y a eu quelques complications. Et puis la guerre a tout arrêté. Mais tu vas voir.

Le lendemain il déjeunait avec Leblanc au club. Il le vit arriver dans une belle voiture avec chauffeur.

Son ancien partenaire avait su profiter de la guerre ; adroitement, sans éclat, mais solidement. Il était maintenant directeur régional du Service Sélectif National. Cette situation, il la devait d’abord à son expérience des affaires, à sa bonne connaissance de l’anglais courant que, comme beaucoup de Canadiens de son milieu, il parlait plus correctement que sa langue maternelle, le français ; mais surtout à son entregent et aux relations qu’il n’avait jamais cessé d’entretenir dans les cercles d’Ottawa. Il avait offert