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LA SOUMISSION DE L’HOMME

Le jour, assis devant une baie qui encadrait le panorama, Robert souvent cherchait des yeux dans toute cette blancheur étalée quelque chose qui accrochât le regard. Mais l’espace était trop grand. La plaine, surtout vue d’en haut, trop unie. L’œuvre des hommes s’y perdait. C’est à peine si avec de bons yeux on pouvait saisir une tache noire, presque immobile, qui était une voiture descendant vers Saint-Jean-Baptiste ou un traîneau glissant sur le chemin des Étangs.

— Ça me fait penser, papa… Dans le rang des Étangs, il y a toujours notre cousine que l’on n’est pas encore allé voir. Tu sais bien : une Germain, qui a marié un Duval. Une cousine à nous autres.

— Tu n’as tout de même pas envie d’entreprendre cette expédition-là en plein cœur d’hiver !

La visite à cousine Duval serait d’ailleurs probablement de celles dont on parle et que jamais l’on ne fait.

Déjà l’esprit léger de Jocelyne s’était posé ailleurs.

— Oh papa ! papa ! Regarde.

— Quoi ? Où donc ?

— Là, à côté du puits. Tu ne vois pas ? Tiens, il remue.

— Ah ! Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Un chien ?

— Mais non. C’est… oui… c’est un renard. Qu’il est joli !

Roux feu, en plein soleil sur le fond blanc moucheté d’ombres violettes, l’animal se tenait sur une pointe de roc qui crevait la neige. D’ici, on voyait battre ses flancs maigres et les mouvements prestes de sa tête fine. Dans ce libre désert, il cherchait une proie que lui avait ce jour-là refusée la forêt. De temps à autre, son museau pointu piquait l’air et vainement flairait le vent. Puis il repartit au petit trot à travers les pommiers. Et il n’y eut plus de lui, en pointillé sur la nappe de la neige qu’il avait un instant animée, que la trace sinueuse et distincte de ses pas.

Après chaque repas, Jocelyne s’avançait un peu à l’extérieur. Du haut du perron elle jetait à la volée, sur la terrasse, des boulettes de pain mouillées de sauce ou de gras. Elle n’était pas rentrée que jailli du vide, un tourbillon de petites boules duveteuses s’abattait, râflait tout et pépiait pour en demander encore.

Le soir, il lui arrivait d’appeler au dehors son père et son mari. Debout dans la nuit, tous trois chaudement emmitouflés de lainages, ils regardaient étonnés le ciel du nord où l’aurore boréale faisait jouer ses draperies phosphorescentes ; tandis que sur les pentes vaguement laiteuses, les arbres dessinaient de noires arabesques.