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LA SOUMISSION DE L’HOMME

— Bon ben… bonsoir, monsieur Garneau ! Je pense que je vas descendre. Vous n’avez plus besoin de moi ?

— Non. Bonsoir, Pétrus ! Et merci.

***

Les noces de Jocelyne eurent lieu à l’église du village, par une journée grise. La brise du nord, soufflant à contre-courant, frisottait la rivière d’innombrables petites vagues couleur d’ardoise. Les jeunes gens devaient tenir à la main leur feutre et Robert Garneau son haut-de-forme. Quant aux jeunes filles, il leur fallait une main sur leur chapeau et l’autre à la jupe tandis que, pour protéger leur coiffure fraîche, elles tournaient la tête contre le vent.

— Quel malheur qu’il ne fasse pas soleil, avait protesté Carmen Désilets.

Romanesque, elle s’était fait une fête pastorale de cette noce à la campagne.

— Le temps est jaloux de moi, répondait en riant Jocelyne dont le bonheur ne pouvait être troublé par des nuages. Mais ça ne me fait rien. J’ai toujours aimé le gris. C’est ma couleur préférée.

Au sortir de l’église, un coup d’aquilon jeta au visage d’Adrien le voile de sa nouvelle épousée.

— Nous voilà attachés pour vrai, dit-il en riant. Et dans le nuage de tulle il l’embrassa longuement sur la bouche, sous la pluie de confettis lancés par les amis de la ville et les poignées de riz de Crétac, de Claire Gagnon, des quelques personnes de la Montagne que Jocelyne avait invitées.

Enfin, juste au moment où la noce descendait le trottoir du parvis sous les hauts érables bruissants, le soleil parvint à s’ouvrir un œil entre les nuées. Un rayon illumina le cortège et fit scintiller les eaux douces du Richelieu.

Lionel n’était point venu. Un télégramme, puis une lettre, avaient apporté l’annonce de son départ hâté pour outre-Atlantique. Raccourcie, sa permission ne lui permettait plus de venir au Canada.

On l’envoyait en Angleterre pour y parfaire son entraînement de combat. Il était bombardier. Dans sa lettre, il se plaignait du temps qu’il lui fallait attendre avant que d’aller lâcher ses bombes sur la tête des Boches et terminer cette guerre qui n’attendait que lui. Comme tout le peuple américain, il semblait avoir, en face de cette martiale et périlleuse aventure, la même attitude enthousiaste et quelque peu enfantine que devant la série ’mondiale’ du baseball. Peut-être même prenaient-ils le jeu avec plus de sérieux que la guerre elle-même. En fait, des combats ils ne connaissaient ni les ruines, ni les privations, ni, ou si peu, la terrible rançon