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CHAPITRE

VIII


TROP  humble pour s’afficher sur la grande route au vu des passants et parmi les maisons des gros pomiculteurs, la maisonnette des Gagnon cachait son pignon dans les cormiers d’une venelle, affluent discret du chemin de Saint-Jean-Baptiste qu’elle rejoignait un peu plus bas que le carrefour. Pétrus Gagnon y logeait avec ses deux frères et ses deux sœurs dont, à vingt-sept ans, il était l’aîné et le nourricier. La plus âgée des filles, Marguerite, tenait la maison. Claire cousait. Quant à Louis-Joseph, il était encore à l’école. Derrière les carreaux clairs, les croisées avaient des rideaux de cotonnade bleue à motifs. Mais de fleurir les quelques pieds de parterre, on n’avait point le temps. La nature généreuse y pourvoyait, la brise chipant, pour les y jeter, la semence des pavots et des passeroses de madame Lupien, la voisine. Avril plantait des violettes à quoi succédaient les asters sauvages et les saponaires.

Derrière la maison passait le torrent qui déchargeait le lac Hertel et le massif entier du mont Saint-Hilaire. De la cuisine on l’entendait gronder au printemps, chanter en été et bruire à peine en automne, à l’époque des eaux basses. Cela servait d’accompagnement aux chansons des Gagnon. Car tous avaient de la voix et l’oreille juste, même le boiteux. Et surtout Louis-Joseph, qui ténorisait à cœur de jour et chantait déjà dans le chœur paroissial. Si bien que les voisins avaient baptisé ce coin : le nique à chansons.

Quittant sa maison vers les neuf heures, ce samedi soir, Garneau dut se rendre chez Pétrus. Le petit moteur électrique qui tirait l’eau du puits avait subitement refusé de pomper. Crétac saurait bien le remettre en marche.

Robert descendait la côte d’un pas gaillard. Il se sentait, depuis quelque temps, véritablement raffermi. Le repos avait eu l’effet promis par le médecin. L’appétit lui revenait, et le sommeil. L’humeur même se faisait plus débonnaire. D’autant que la veille était arrivée une lettre de Lionel annonçant sa présence possible aux noces de Jocelyne ; il essayait d’arranger les choses pour que sa longue permission, avant le départ pour « l’autre côté », coïncidât avec la date de ce joyeux événement.

Jocelyne en avait dansé de joie.

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