Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE

VII


CETTE  année-là, le printemps fut hâtif.

Fin mars, déjà, l’hiver semblait avoir accepté sa défaite et retraitait chaque jour un peu plus vers le nord. Les hommes, après le long hivernement, sortaient timidement sur le pas des portes enfin libres de neige et que réchauffait le soleil ; baignés eux-mêmes par une joie tiède mais que faisait mal assurée l’expérience de tant de printemps survenus puis chassés pour des semaines par une nouvelle offensive des glaces et du froid.

Mais cette fois, quelques corneilles étaient réellement apparues dans les champs. Les employés municipaux ouvraient à coups de pic, dans la glace des rues, les rigoles où, chaque matin refondue, l’eau se remettait à couler plus vive. Sur les trottoirs, côté soleil, les enfants jouaient aux billes ou à la toupie. C’était bien vraiment le printemps.

En cette température Jocelyne avait trouvé un allié inespéré. Car le mariage, après un long retard, une fois décidé pour juin, elle s’était mise à plaider ouvertement auprès de son père l’abandon de l’appartement de la ville. Elle proposait d’habiter Saint-Hilaire dont la maison, petite mais bien construite, serait assurément confortable si l’on y installait le calorifère en prévision des grands froids. De la sorte, Adrien serait tout près de son travail : une petite lieue.

— Sauf en hiver, disait-il, je pourrais presque faire le trajet à pied. Une simple marche de santé, en passant par Otterburn et le pont du chemin de fer.

— Oui. Mais l’hiver ? protestait Garneau.

— L’hiver ? répliquait en riant le futur gendre, l’hiver, savez-vous que cela se ferait en ski comme rien ! De toute façon, il y a Rémus Riendeau qui fait le voyage tous les jours avec son char. Il travaille à la poudrerie et passe ainsi devant les serres. Je n’ai qu’à m’entendre avec lui.

Garneau se rendait compte que son opinion, son accommodement même, entraient de moins en moins en ligne de compte. Cela déjà le rebutait. Mais avant tout, quitter la ville lui répugnait. Trop longtemps la métropole avait été sa suprême ambition ; et d’y régner, son rêve inavoué. Pour un village, pour une petite ville, bref, pour un autre Louiseville, jamais il n’eût accepté de troquer Montréal. Trop de souvenirs eussent ainsi été animés. Il eût eu l’impression de recommencer le passé. Il se

— 337 —