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LA SOUMISSION DE L’HOMME

Elle apportait en mariage un certain revenu ; et, à la mort de son père, ce qui n’avait guère tardé, un capital assez considérable. Voilà ce qu’il en avait attendu et reçu.

Mais elle lui avait donné plus encore : deux enfants, dont un fils, quelques relations qu’il avait rejetées après les avoir utilisées. Et par surcroît une espèce de félicité domestique, peut-être incolore et sans goût, mais qui avait inconsciemment fait limpides des années qui autrement eussent pu être troublées. Enfin elle avait eu un sens du pratique dont il lui était arrivé de tirer profit bien qu’il eût toujours affecté de ne point prêter l’oreille à ses avis.

Tout à l’heure il rentrerait à la maison. Jocelyne serait là qui l’attendrait pour servir le déjeuner. Aussitôt après elle dirait de sa voix onduleuse et un peu nasale :

— Ça ne te fait rien, papa, si je sors ? Je rentrerai vers cinq heures. Pas même, aujourd’hui : car elle devait dîner en ville avec Adrien. Quant à son père, il dînerait dans quelque vague restaurant.

— Va donc manger au club, papa. Il y a longtemps que tu n’y es allé. Il était vrai qu’il s’y rendait de moins en moins souvent.

— Tu y rencontrerais des amis, continuerait-elle comme chaque fois.

Mais, justement, Garneau tenait de moins en moins à rencontrer ses anciens amis. Sauf Lafrenière qui lui faisait signe lorsqu’il était de passage à Montréal.

Peut-être resterait-il, malgré tout, seul chez lui. Il ferait des patiences après avoir lu le journal du dimanche. En rentrant, plus tard, Jocelyne irait voir dans le réfrigérateur :

— Papa ! Tu as encore mangé ici, sur le coin de la table ! Des restes ! Au lieu d’aller au club.

— Oh ! ça ne me disait rien, Jocelyne. Il ne fait pas assez beau pour sortir.

— Si j’avais su, je serais revenue te faire à dîner. Tu n’es pas raisonnable.

Sa vie eût été différente si Hortense ne fût pas partie. Au fait c’était depuis son départ que les choses avaient changé et que le vent de la fortune avait tourné. N’avait-elle pas été son porte-bonheur, quelque chose comme une mascotte ? Si elle eût été là…

Hortense ; ou peut-être une autre. Pourquoi n’avait-il jamais envisagé sérieusement l’idée d’un remariage ? Ou, plus simplement, pourquoi n’avait-il jamais eu une liaison, comme tels de ses amis ? Il était vrai que ni ses sens, qui n’avaient rien d’impérieux, ni son esprit, éloigné de la douceur, n’avaient jamais senti le besoin d’une présence féminine. Pourtant…