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CHAPITRE

VI


LE  dimanche, Garneau se rendait à la messe de neuf heures à Notre-Dame-des--Sept-Allégresses, son église paroissiale.

Il y allait seul, laissant Jocelyne aux petits soins du ménage. Souvent en retard de quelques minutes, il grugeait sur le temps promis à Dieu. Tous les bancs étant remplis, il devait rester debout à l’arrière avec la masse des retardataires. Cette petite foule, composée presque entièrement de jeunes gens peu dévots et à peine respectueux, occupait tout l’espace qui sépare les portails des derniers bancs. Chaque nouvel arrivant laissait entrer un jet d’air froid qui, leur glaçant les épaules, en faisait maugréer quelques-uns. Et les plus avancés se mettaient discrètement les mains sur les grands radiateurs afin de se les réchauffer. Pour s’échapper, ils attendaient le signal qu’innocemment leur donnerait l’enfant de chœur lorsqu’il transporterait le missel du côté de l’Évangile au côté de l’Épître.

Tout au long de cet office qu’il ne lui fût pas venu à l’idée de manquer, Robert Garneau, comme la plupart de ses voisins, ne faisait qu’en attendre la fin. Ses yeux vaguaient des fidèles, qui lui offraient leur dos ou leur calvitie, aux anges de la voûte ; ceux-là, vêtus de longues chemises de nuit roses et bleues, à plat sur les cintres en trompe-l’œil, embouchaient silencieusement des trompettes menaçantes. Puis les yeux de Robert revenaient vers le troupeau docile des ouailles qui se levait, s’asseyait, s’agenouillait, se signait avec un ensemble mécanique. Enfin, l’office terminé il reprenait sans hâte le chemin de la maison mais en faisant presque toujours, pour se distraire, un assez long détour.

Jocelyne, elle, préférait la grand-messe. Suivant dans son livre, elle ne souffrait pas de la longueur du rituel, ni même du soporifique ennui que dégageaient les sermons du curé. Ventripotent, apoplectique et enroué, l’abbé Dagenais garnissait une théologie ingénument populaire d’interminables citations latines qu’il prononçait à la mode d’autrefois.

La jeune fille rencontrait là son fiancé, bien que les Léger habitassent le haut de la rue Saint-Hubert. À la sortie, tout un groupe de leur connaissance s’agrégeait sur le perron. S’il faisait doux, l’on papotait quelques minutes pendant que passaient, tout en haut, au-dessus d’eux, les premiers tintements de l’angelus. Les jeunes hommes, qu’environnait une aura de lotion et de cirage, étrennaient une cravate, ou un feutre gris perle sur leurs

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