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LA SOUMISSION DE L’HOMME

— En tout cas, je vais lui écrire et lui demander de nous en dire plus long.

Mais connaissant son frère, elle ne comptait guère sur le résultat.

Il insista pour qu’elle écrivît à Lionel sans tarder.

— … Et demande-lui de nous donner le cours et le long de cette histoire.

— Oui. Tu peux être sûr. Mais, ça fait rien ! c’est triste, papa. Pauvre Lionel, qui avait un foyer ! Et moi qui n’ai jamais connu sa femme ! Jamais ! S’ils avaient eu des enfants, aussi, je suis sûre que cela ne serait pas arrivé. Comment était-elle, Amy ? Tu m’as dit, en revenant de ton voyage, qu’elle était gentille. Mais tu ne m’en a jamais beaucoup parlé. Je pense que tu ne l’avais pas beaucoup aimée.

— Oh oui ! pourtant. Mais je ne suis pas certain que tu l’aurais aimée beaucoup toi-même. Elle avait un genre un peu… un peu chorus girl. Dans le temps, j’ai préféré ne pas trop rien dire.

Il parut hésiter un instant.

— Et puis, au fond, bien que cela me fasse de la peine pour Lionel, c’est peut-être aussi bien comme cela. Parce que… il y avait encore une autre chose… Il m’a semblé…

— Quoi donc ?

— Bien je me suis demandé… En la voyant, j’ai eu l’impression… qu’elle avait quelque chose de nègre. Oui, la peau d’abord, pas mal. Et surtout le nez. Et les lèvres. Ses grands-parents, peut-être…

— Non !… pauvre Lionel !

L’exclamation de Jocelyne contenait plus de surprise que d’aversion. Certes, une telle alliance lui apparaissait comme peu désirable ; mais cela surtout parce que, naturellement nordique d’esprit, elle doutait qu’un Canadien français pût faire son bonheur avec une personne de race si distincte, si différemment humaine. Les alliances avec gens simplement de langue différente étaient déjà si souvent malheureux !

Dans la lettre qu’elle écrivit le soir même, elle insista tendrement pour que son frère vînt passer quelques jours au Canada. Jamais il n’y était revenu depuis son départ précipité, il y avait maintenant huit ans. Déjà huit ans !

La réponse n’arriva qu’au bout de trois semaines. Il n’avait point le temps, dans la presse des affaires, d’entreprendre le voyage. Il viendrait voir les siens l’année suivante, pour sûr. Quant à l’affaire de son divorce, il n’en paraissait pas le moins du monde attristé. Son mariage, disait sa lettre, avait été une erreur ; et la séparation ce qui pouvait lui arriver de mieux. Son expérience de la vie conjugale lui avait démontré qu’il était fait pour le célibat et surtout pour les affaires. Au demeurant, il paraissait n’attacher à ce divorce qu’une importance fort relative.