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LA SOUMISSION DE L’HOMME

— À votre santé, dit Duval.

— Il est bon, dit Garneau.

— Pas mal. Pas mal, consentit Lafrenière. Chacun but.

— Du plus doux, annonça Duval, en siphonnant une autre barrique suivant le même rituel.

— Très peu pour moi, avertit Jocelyne.

L’humidité déposait sur les verres des perles froides qui glissaient le long des doigts. Sur la langue, le cidre faisait frais, un peu suret. Puis il ne restait dans la bouche qu’un goût musqué.

Hermas eut un rot sonore.

— J’aime mieux le premier, jugea-t-il. Donnez m’en donc encore un peu pour comparer… Non, du premier… Assez.

Mais il avait attendu, pour dire : Assez, que son verre fût comble.

— Moi c’est le second que j’aime le mieux, dit Marie-Claire.

Duval lui prit son verre et le remplit en souriant.

Garneau, qui n’en était point à sa première visite dans les caves et qui savait les traîtrises du cidre, crut devoir avertir doucement Hermas.

— C’est toi qui conduis. Méfie-toi. Ça n’y paraît pas et ça tape, tu sais.

— Mais non, mais non, protesta Duval en clignant de l’œil.

— Voyons, ricana Lafrenière, du stuff de même, je peux en boire un gallon.

Quand le pomiculteur en vint au cidre mousseux, celui de deux ans, chacun avait oublié la fraîcheur de la cave. Marie-Claire poussait des petits cris de couventine :

— Oh ! que j’aime ça. Humm ! Elle tendit de nouveau son verre sans attendre. C’est comme du champagne. Pareil. Whoa ! Ça fait un petit quelque chose, tu sais. Dites donc, monsieur Duval, les hommes de Saint-Hilaire, i’ sont-ils aussi bons que leur cidre ?

— Ouais, ça se laisse boire, disait Lafrenière d’une voix dont le ton s’élevait à chaque lampée. Garneau, prudent, laissait ses verres à moitié et vidait discrètement le reste par terre. Quant à Jocelyne et Adrien ils buvaient désormais dans le même verre.

— Dis mon gros loup, ronronnait Marie-Claire, tu vas m’en acheter, hein !

Çartain, ma catin ! Combien en veux-tu de caisses. Veux-tu acheter la tonne ? Si tu veux.

— C’est vrai qu’il est bon, le cidre, dit Adrien qui malgré la compagnie avait pris résolument Jocelyne par la taille. Vous savez, on est fiancés, avait-il précisé pour éviter toute équivoque.