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LE POIDS DU JOUR

— Je me sens fort comme un cheval, dit-il. De nouveau il prit Jocelyne dans ses bras et la souleva. Mais l’instinct planté en lui par deux ans de sanatorium lui fit la reposer aussitôt, une fois donnée la preuve de sa vigueur.

Il serait à Saint-Hilaire quatre jours. Après quoi il lui fallait retourner à Montréal ; il avait vu son père et les siens à peine quelques heures.

Sage, et en outre surveillé par Jocelyne qui débordait d’une tendresse qu’elle faisait maternelle, il bougeait peu de la maison où la fin de septembre allumait chaque soir une bûche dans la cheminée. Contre ses gronderies il ne protestait qu’en riant, ayant pris là-bas, avec les médecins et les infirmières pour qui tous les malades sont un peu des enfants, l’habitude d’obéir sans demander le pourquoi. Quand le soleil haut avait suffisamment réchauffé l’air montagnard, tous deux marchaient par les sentiers étroits, la main dans la main.

— Tiens, Adrien, assieds-toi là. Moi, je vais ramasser des cocotes. J’ai apporté mon grand sac. Cela sent si bon dans le feu.

— Laisse-moi t’aider.

— Je te défends ! Assieds-toi !

D’une main qu’elle voulait autoritaire, elle le poussait sur le tapis odorant et lustré des aiguilles de pin. Il se laissait aller, déjà essoufflé de l’effort pourtant léger, mais qui fatiguait rapidement ses muscles désentraînés.

Ou encore ils restaient assis sous les pommiers chargés. Les fruits verts, jaunes et rouges, faisaient du verger un champ d’arbres de Noël. D’un arbre à l’autre, ils s’amusaient à comparer les fruits, se disputant pour finalement tomber d’accord. Prenant une pomme tombée dans l’herbe, ils y donnaient un coup de dents puis la rejetaient en riant pour en goûter une nouvelle. Ce petit gaspillage leur donnait une impression de luxe savoureux, d’inépuisable abondance.

Le soir, près de la cheminée, ils échangeaient des paroles banales et ravissantes. Elle le forçait à prendre le grand fauteuil de rotin qu’elle matelassait de coussins et tirait elle-même près de la cheminée. Sur un dernier carreau, elle s’asseyait à ses pieds, la tête sur ses genoux. Adrien mettait sa main dans le cou de son amie, sous l’oreille, là où à fleur de peau on sent courir le flot rythmé de la vie. Il avait si souvent rêvé du moment où il la toucherait de la sorte. Il la sentait vivre. Liés veine à veine, ils échangeaient leur sang et les battements de leurs cœurs accordés.

Parfois le père se mêlait à la conversation. Il acceptait Adrien Léger. Le mariage de Jocelyne était chose fatale, naturelle. Le passé maladif du jeune homme lui inspirait néanmoins quelque répugnance envers une telle union. Outre qu’il n’avait jamais eu souci de Jocelyne autant que de