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LE POIDS DU JOUR

— Tiens ! tu es là, papa !

— Bonjour, monsieur Garneau. Vous avez bien dormi ?

C’étaient Geneviève et Jocelyne. Elles se découpaient, silhouettes curieusement disparates, sur la porte extérieure grande ouverte derrière elles et par où entraient des mouches glissant sur un jet de soleil éblouissant et massif.

— C’est vraiment beau, monsieur Garneau, ce coin que vous avez trouvé, dit Geneviève en déposant la botte de plantes dont elle était chargée. Assise par terre, elle les étala sur un journal déplié. Elle continua : C’est vraiment un bien bel endroit. Chaque fois je l’aime davantage. Ce serait mon rêve d’avoir quelque chose comme cela, à moi. En tout petit. Selon mes moyens.

Elle poussa un soupir souriant. Garneau fut heureux d’être envié, même aussi doucement. Il y avait longtemps que cette petite joie ne lui avait été donnée. Cela l’inclina à plus d’amitié pour Geneviève. Il lui concéda encore plus d’intelligence.

— Mais venez tant que vous voudrez. Cela me fait plaisir.

— Et tu sais, papa, nous venons déjeuner avec toi. Une faim de loup ! … Marcelle !… Marcelle !… Fais-nous des galettes de sarrazin ; et beaucoup !… Après cela, nous allons au lac.

Au soir, assis sur la terrasse où l’on flottait réellement au-dessus du paysage, tous trois regardèrent la longue traîne mêlée d’ombre et de lumière que le soleil bas jetait sur la plaine. Les cultures découpaient la terre en lisières vertes tandis que des pointes sombres de forêt s’avançaient comme une eau qui s’infiltre. Au fond, à fleur d’horizon s’allumaient un instant des étoiles palpitantes qui n’étaient qu’un éclat de soleil reflété par les glaces d’une auto invisible ; ou d’autres feux, fixes ceux-là, qui étaient les vitres rougeoyantes d’une maison où se mirait le couchant.

Une brise passa, chargée d’une odeur étrangement forte et sucrée.

— Tiens ! cela sent encore l’ananas, dit Jocelyne. N’est-ce pas que cela sent l’ananas ? Dis donc, Geneviève, qu’est-ce que c’est qui sent si fort ? Celle-ci flaira l’air un instant :

— C’est curieux !… On dirait… de la camomille… Oui, c’est bien cela.

Et elle ajouta, en souriant d’une pédanterie si absurde en ce moment : « … Camomille… Anthémis nobilis ».

L’heure était reposante entre toutes. C’était l’heure du repos des hommes, l’heure de la récréation des oiseaux, l’heure du réveil des bêtes nocturnes, avant le départ pour la chasse inquiète. L’heure aussi de la libération des parfums et de la détente des vents. Les feuilles palpitaient à peine au faîte des arbres. Dans le ciel brodé de nuages, les hirondelles