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HÉLÈNE ET MICHEL

Hélène se tourna brusquement vers son enfant et resta un moment sans répondre. Puis elle dit doucement :

— Eh oui ! Michel. Pourquoi est-ce que les gens ne peuvent pas faire ce qu’ils ont envie de faire ! Tout le monde serait tellement plus heureux !

Elle répéta, se parlant à elle-même :

— Pourquoi est-ce que les gens ne font pas ce qu’ils veulent ?

Elle sentit peser le regard interrogateur de l’enfant qui l’écoutait et demandait une réponse à leur commune question.

— … Parce que ce n’est pas possible, Michel. Le monde est comme ça. Ça n’a jamais été autrement.

— Mais moi, maman, quand je serai grand, je ferai ce que je veux.

— Peut-être que oui, Michel… Peut-être que non… Des fois tu pourras faire ce que tu voudras. Et d’autres fois tu feras ce que tu ne voudras pas. C’est peut-être mieux de même. Cela doit être mieux de même, puisque le Bon Dieu a fait ça comme ça.

Michel ne répliqua point. Sa pensée était déjà ailleurs. Il entra dans la maison, prit son violon et sortit.

Dans sa « caverne », le vent frais ne descendait point, arrêté par le mur de la berge ; mais l’ombre était moins lourde à porter que le jour brûlant. Car de cette brèche profonde où coulaient les eaux troubles de la rivière montait une certaine fraîcheur.

L’enfant s’assit un moment, l’oreille tendue. Aucun bruit ne se faisait entendre. Rien ne bougeait plus. Les maisons, volets clos, semblaient assoupies. En bas, la face de la rivière était couverte de billes pressées par l’estacade. C’est à peine si l’on apercevait ici et là une tache triangulaire d’eau couleur de plomb. Se ravisant, Michel rentra déposer son instrument et partit vers la ville.

Il y avait longtemps qu’il voulait aller chez le vieux Grégoire, le violonneux. Celui-ci apprenant que le fils Garneau avait un violon s’était arrêté un jour, au tout début. Michel en avait profité pour apprendre comment accorder les quatre cordes ; et le vieil homme, intéressé, l’avait invité à le venir voir.

— On fera de la musique, avait-il dit.

Il était dans son échoppe de sellerie. La porte pelée donnait sur une petite rue de quatre maisons minuscules après quoi, tout de suite, c’était la campagne.

Le violonneux travaillait, assis sur une chaise bancale et sans dossier parmi les harnais rompus, les valises éventrées et les rognures de cuir qui jonchaient le plancher et montaient par endroits jusqu’à la cheville. De temps à autre le bonhomme se penchait et pêchait dans ce fouillis la pièce qu’il lui fallait.