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CHAPITRE

IV


ON était  en juillet. Les heures passaient vêtues de lumière bleue et parfumées par le foin d’odeur. Il régnait sur la campagne le calme somptueux de la mi-été, avant que ne commence la moisson, alors que la terre grasse est encore parée de toute sa richesse.

Il y avait pourtant dans l’air une étrange tension. Aucun orage n’éclatait ; mais la menace planait immobile au-dessus des hommes vaguement inquiets.

La maison des Garneau subissait l’influence. Ludovic, assoiffé par la chaleur, s’était remis à boire de plus belle. Il avait même manqué au travail, ce qui ne lui arrivait jamais. Hélène souriait moins, lèvres closes ; et quand les yeux de son mari se posaient sur elle, le regard en était noir comme le fond d’un puits où dort une eau glaciale et traîtresse. Pendant le jour, elle quittait à tout moment la cuisine d’été que la chaleur du poêle rendait intenable, pour venir derrière la maison chercher l’ombre et se rafraîchir à grands coups de son tablier bleu.

— Mon Dieu ! qu’il fait chaud ! Je pense que je n’ai jamais eu si chaud de ma vie ! Quand est-ce que ça va finir ! Il faudrait un bon orage. Tu n’as pas chaud, toi, Michel ?

— Bien sûr, maman ; ça fait trois fois que je me baigne aujourd’hui, mais j’ai chaud quand même.

Hélène défaisait le casque lourd de ses cheveux, les laissait flotter un instant, puis les remontait sur la tête en un chignon, pour dégager la nuque où la sueur brunissait les petites mèches plaquées sur la peau tendre.

— Ça devrait être la mode de se couper les cheveux ; on serait tellement mieux.

— Tu te couperais les cheveux, maman ?

— Seigneur, oui ! Mais tu vois ce que diraient les gens !

— Qu’est-ce que ça fait, ça, maman ? Madame Lacombe se les a fait couper, l’année dernière. Personne n’a rien dit.

— Elle, ce n’était pas la même chose. C’est le docteur qui l’a fait raser ; elle avait les fièvres.

— Pourquoi est-ce que les femmes ne font pas ce qu’elles ont envie de faire, comme les hommes ? Ça ne dérange personne.

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