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LE POIDS DU JOUR

Elle remontait à la maison pour y trouver son père occupé à lire le journal ou à suivre distraitement dans la cheminée le ballet des flammes, si c’était le soir ; ou, si c’était le jour, sur la terrasse à discuter des travaux de la saison avec Crétac, leur homme à tout faire.

Un type, ce Crétac. Boiteux de jambes, mais adroit des mains comme le sont si souvent les hommes des campagnes. On lui faisait faire à l’intérieur tous les ouvrages durs et déplaisants comme de nettoyer l’âtre, de cirer les parquets, même de laver la vaisselle ; et au dehors tous les travaux qui demandaient quelque connaissance des pommiers ou plus généralement de la terre. À ceux-là Jocelyne prenait part dans la mesure que lui permettaient ses forces et son bras débilité. Robert, lui, ne s’y intéressait guère.

L’homme s’appelait de son nom Pétrus Gagnon ; le sobriquet lui venait d’une interjection qu’il avait sans cesse à la bouche.

— Ah ! cré tac ! mamzelle Jocelyne ! c’est un vrai orage qui s’en vient !… Cré tac ! il y en a-t-il des bibittes sur les rosiers c’t’année !… Cré tac ! qu’il est bon votre gâteau !

Un matin de printemps l’avait vu arriver tout de go :

— C’est le temps de tailler les pommiers. Faut pas attendre. Avez-vous quelqu’un ? Non ?

Armé de sa scie et de son sécateur, il s’était attaqué au premier pommier du verger sans plus attendre. On l’avait retenu depuis.

À monsieur Garneau, il répondait avec déférence tout en faisant le plus souvent à sa tête. Mais il recevait les ordres de la jeune fille avec dans ses yeux faïence un sourire de joie. Visiblement, il était sensible au charme de Jocelyne et ne cherchait pas à le céler.

Celle-ci se servait parfois de lui comme d’argument pour revenir de la ville à Saint-Hilaire :

— Si tu veux, papa, nous allons partir de bonne heure pour la maison. Tu te souviens que j’ai averti Crétac de m’attendre pour planter les tomates et les glaïeuls.

Évidemment en s’adressant à lui elle l’appelait Pétrus, ou même « monsieur Gagnon ».

De même, le père se servait de la nouvelle bonne comme de justification lorsque Saint-Hilaire lui pesait. Née à la campagne, Mina l’avait naturellement en horreur. Elle menaçait de rendre son tablier si on insistait pour l’y emmener :

— Tu sais, Jocelyne, disait Garneau, nous serions mieux de rentrer en ville. Mina nous attend cet après-midi. Et tu sais comme elle est griche-poil quand on ne rentre pas comme on le lui a dit.

Une fois réintégré l’appartement du boulevard Saint-Joseph, tous deux, le père et la fille, n’avaient qu’une envie tacite : en sortir. Ils ne