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LE POIDS DU JOUR

goût de la jeune fille, sauf le toit. Car elle l’eût voulu de chaume poétique ; tandis que le père, pratique et prudent, avait opté pour le bardeau d’amiante. Mais il avait consenti à ce qu’il fût rouge. De sorte que au flanc de la montagne, nichée dans les verdures courtes des pommiers et celles plus hautaines des érables et des chênes, la maison de loin avait l’air d’un fruit parmi les feuilles.

Bien que l’on fût en octobre et que la nature eût commencé de se dépouiller, la jeune fille allait le plus souvent possible à sa villa. Elle ne se plaignait point que l’été fût fini et que le vent fût froid ; cela lui donnait l’occasion de faire dans la cheminée des flambées devant lesquelles, assise sur une peau d’ours, elle rêvait en fumant. Et comme il restait encore des pommes dans les arbres et des carottes dans le potager, elle pouvait jouer à la fermière, toute heureuse de la cuisine claire, des tapis de catalogne, des gravures qu’elle choisissait longuement avant de les accrocher au mur, des écureuils qui la regardaient d’un petit air méchant, des oies sauvages qui très haut passaient dans le ciel, du puits où elle avait fait installer une brimbale à la mode paysanne. Aidée d’un jeune garçon du voisinage, elle rangeait elle-même dans les mannettes les fruits de ses arbres pour en faire don à ses amis :

— Et, vous savez, ce sont des pommes de mes pommiers, de mes pommiers à moi ! Pensez-vous qu’elles sont bonnes ! Elle y pensait constamment :

— … Sais-tu, papa, je vais y aller cet hiver. Ce que ça doit être beau ! J’ai invité des amis : les Carrière, Jerry, Carmen, Jack Galarneau, Marcel Gauvreau, Lucienne Saint-Jacques, tout mon groupe, pour le jour de l’an. Nous irons à la messe en carriole à Saint-Jean-Baptiste. Et nous ferons du ski dans la montagne.

— C’est que tu ne peux pas. Tu sais bien que la montagne est propriété privée. Elle appartient à monsieur Gault.

Mais Jocelyne avait tout prévu.

— Oui ! J’ai la permission. Je l’ai rencontré l’autre jour, monsieur Gault et je lui ai parlé. Il est gentil comme tout. Toute mon affaire est arrangée. Tu vois.

— Mais pas seuls ? Tous ces jeunes !…

— Sois tranquille, tante Mary va venir.

Mary Harrison prenait encore, à l’occasion, auprès de Jocelyne, la place laissée vide par le départ de la mère.

— Et toi, papa, pourquoi est-ce que tu ne viendrais pas ? Tu es libre. Cette fois il haussa les épaules.

— Tu sais bien que la campagne, moi !… Et tu ne voudrais tout de même pas que je me mette à faire du ski !