Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
272
LE POIDS DU JOUR

premières ardeurs martiales. Puis les certitudes de victoire rapide encouragées par les fausses nouvelles systématiques. Les années de deuil presque oubliées dans la joie délirante d’une victoire que l’on avait affirmé — et cru — définitive. Enfin, le désenchantement des lendemains. L’écœurement des hommes après ce qui n’avait été qu’une sanglante et inutile ribote.

Non ! Les hommes avaient payé trop cher pour de nouveau se laisser prendre aux flons-flons régimentaires, aux pipeaux drapés de couleurs nationales. Il y avait longtemps qu’on avait remisé les bannières avec les grands mots démonétisés : Civilisation, Démocratie, Croisade, Liberté, Droit, Justice, Guerre à la guerre…

Et, pourtant, de nouveau sous les yeux inquiets des mêmes hommes, un nuage montait à l’horizon, tout là-bas, vers l’est. Du côté de l’Europe, encore ! Chacun, assis sur ses conquêtes, surveillait jalousement son voisin et criait au voleur à chaque manifestation d’appétit. Après Mussolini, c’était Hitler qui semblable au génie issu du vase ouvert par le pêcheur, avait subitement grandi au point d’envahir l’espace. Et l’odeur de pourriture humaine qui sortait de son antre commençait à écœurer le monde. Si bien que ceux de la génération nouvelle, ceux-là qui ne connaissaient point le vrai visage de la Guerre, s’étaient mis à fréquenter joyeusement les mess d’officiers et à jouer les beaux sabreurs.

Dans les clubs on ne parlait guère d’autre chose :

— Tu as vu les nouvelles ? disait l’un, montrant la manchette du journal.

— Encore ! Ça ne peut pas durer longtemps. C’est un jeu trop dangereux.

— Je ne peux pas croire que cela va recommencer. Comme si ce n’était pas assez de ’14.

Celui-ci avait jadis perdu un frère ; et il avait deux fils officiers de réserve.

— Pas de danger, disait un autre, ami d’un ministre. Du moment que Hitler se rendra compte que la France et l’Angleterre sont sérieux ; et que la Russie est avec nous…

— La Russie !… Oh !…

— Oui ! La Russie ! Je le sais de bonne source. If we call their bluff les Nazis vont lâcher.

— Ce qui est certain c’est que s’ils veulent jouer au fou, ils vont recevoir une dégelée. Et cette fois ça ne prendra pas quatre ans.

— En tout cas… il faut être prêt. Moi j’ai pour mon dire que le Gouvernement devrait dès maintenant donner les ordres pour que l’on se prépare.

Celui-là, c’était un futur munitionnaire.