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LE POIDS DU JOUR

Ces petits cadeaux qui donnaient au père l’impression tangible de sa richesse nouvelle, ces petits cadeaux n’étaient rien à côté de celui qu’il avait décidé de faire à sa fille pour son anniversaire. Il n’avait pu se tenir de lui en parler à l’avance :

— Attends ta fête ! C’est là que je vais te faire ton vrai cadeau ! Pour tes vingt et un ans.

La jeune fille avait poussé un cri de joie.

— Non ? Vrai, papa ?… Quoi ?… Mais quoi ?

— Devine ?

— Non ! Dis-moi ?

Visiblement elle avait en tête quelque chose de précis, quelque chose dont elle préférait ne point parler dans la crainte d’un désappointement.

— C’est… une auto ! dit le père. Un coupé Mercury. Je l’ai commandé. C’est aussi bien que tu le saches. Comme cela tu pourras choisir la couleur.

Elle l’embrassa d’un mouvement joyeux. Mais il perçut que son élan avait été quelque peu voulu, que sa joie manquait de spontanéité et apparemment n’était point parfaite.

— Bien sûr ? Tu n’aimerais pas mieux autre chose ? Un voyage peut-être ?

— Non ! Je t’assure !

— Aimerais-tu… aller en Europe ? Oui, c’est cela… un voyage à Paris !

— Non ! Non ! D’ailleurs…

— Quoi ?

— Ça n’est pas raisonnable. Ça serait bien trop cher.

Malgré elle, sa voix brave restait teintée de regret.

— Dis toujours, Jocelyne. On ne sait jamais.

— Vrai, papa ! Ça ne te fait rien ? En tout cas, tu n’aurais qu’à dire non. Je t’assure que je comprendrais.

— Alors… qu’est-ce que c’est ?

— Achète-moi… achète-moi… Saint-Hilaire.

— Comment ? Tu penses encore à cette folie ? Tu sais bien que cela n’a pas de bon sens.

Le matin de son anniversaire, ce fut Robert qui vint éveiller lui-même sa fille. Elle dormait encore, la tête perdue dans l’oreiller de ses cheveux d’or bruni, le bras alangui, éclatante de divine jeunesse entre les murs dont elle avait fait remplacer le papier à ramages par une couleur unie bleu pastel.

— Bonne fête, Jocelyne !