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LES ANTIPODES

paraît. Il m’a dit que ça ne serait pas facile d’acheter quelque chose dans la montagne…

— Et pourquoi ça ?

— Parce qu’il a pour son dire que « lorsqu’on a vécu dans la montagne on ne peut pas s’en aller vivre ailleurs ». Comme je le comprends !

— On dit ça, Jocelyne, on dit ça. Mais lorsque quelqu’un arrive et met l’argent sur le coin de la table !…

Pendant cet hiver, les nouvelles de Lionel furent de plus en plus rares et courtes. Une carte du Premier de l’An leur apprit qu’il allait passer d’Atlanta à Baltimore ou Philadelphie.

Certes, le père eût bien voulu le voir revenir au pays. Mais Lemercier lui avait conseillé d’attendre encore quelque peu.

Enfin, au début de mars, il put écrire à Lionel qu’il pourrait maintenant rentrer au Canada sans danger. Cinq semaines plus tard il recevait une courte lettre. Lionel Garneau s’était marié ; ayant l’intention de vivre aux États-Unis, avait demandé ses papiers de naturalisation. Il invitait son père à venir le voir quand il serait installé et envoyait un bonjour à Jocelyne.

La surprise d’une telle décision, le regret de ne pas voir revenir son fils, furent néanmoins tempérés chez Garneau par l’orgueil de voir Lionel organiser résolument sa vie. Mais il n’en fut pas moins taciturne pendant quelques jours.

— Sais-tu, papa ! Je pense que c’est la meilleure chose qu’il pouvait faire. S’il a songé à se marier c’est qu’il est maintenant rangé. Si tu veux, dans un mois ou deux, nous pourrions peut-être prendre l’auto et descendre aux États-Unis.

Le père fit signe que oui, sans rien dire. Mais deux mois plus tard, ce fut impossible

Il y eut d’abord la maladie de Jocelyne. Elle s’alita un soir après deux jours de maux de tête violents. Puis la fièvre monta ; le mal devint inquiétant au point de faire hésiter le médecin qui trouvait à cette grippe une allure anormale. Enfin le docteur Bastien appelé en consultation diagnostiqua une poliomyélite : la paralysie infantile.

Le cas toutefois était bénin. Il n’en fallut pas moins transporter la malade à l’hôpital, non pas tant pour le traitement, car il n’en était point d’efficace, mais par prudence et parce qu’on ne pouvait à la maison lui donner les soins constants dont elle avait besoin.

Troublé par la solitude qu’il avait toujours fuie, le père venait passer au chevet de Jocelyne quelques heures chaque soir. Il s’asseyait près d’elle et lisait son journal, pendant qu’elle restait les yeux fermés sous l’effet des calmants ou parlait vaguement dans le demi-délire où elle était plongée depuis plusieurs jours déjà. Parfois, il se demandait obscurément comment