Le dimanche ils allaient ensemble à la grand-messe en l’église paroissiale de Sainte-Madeleine d’Outremont où les Garneau louaient le même banc depuis des années. À la sortie, il arrivait presque toujours à Jocelyne de se joindre au groupe de jeunes filles et de garçons qui se nouait sur le terre-plein. Tous l’accueillaient avec des cris amicaux ; car on l’aimait. Mais quelque pressante que fussent les invitations, pour rien au monde elle n’eût laissé son père rentrer seul pour le lunch du seul jour qui le voyait ainsi à la maison.
Ses études s’étaient terminées à Villa-Maria. Il lui restait un souvenir indifférent de ces deux années où on lui avait imposé, comme à ses compagnes, la vie quasi monacale des religieuses au lieu de les entraîner logiquement à la vie mondaine et familiale qui plus tard serait la leur. On s’y levait à six heures pour entendre la messe avant le café matinal. Si bien qu’une fois le foyer réintégré toutes goûteraient avec un délice de chatte paresseuse la joie rare des longues matinées au lit. Elles garderaient longtemps l’horreur des levers d’hiver avant l’aube, à la lueur des lampes mesquines.
Bien que Jocelyne Garneau n’eût jamais raffolé des sorties mondaines, ses dix-huit ans et sa libération lui avaient apporté son accès normal de liberté et de jeux galants. Longtemps contenue, sa sensibilité avait fleuri. Néanmoins depuis quelque temps, ses goûts s’étaient modifiés. Il lui arrivait souvent de passer à la maison, et sans déplaisir, de longues soirées seule à écouter la musique radiodiffusée des orchestres de Montréal, Toronto ou New-York. La mort de sa mère, en lui mettant sur les épaules l’administration de la maison, puis le départ de son frère, enfin la solitude où elle voyait un père rude mais qu’elle aimait et dont elle croyait sentir qu’il n’était pas heureux, tout cela l’avait mûrie sans toutefois l’éteindre. Car elle restait plutôt gaie, d’une gaîté sans bruit qui l’environnait d’une espèce d’aura invisible et prenante. Elle lisait peu, malgré Mary Harrison. La lecture, à cette époque, avait peu d’adeptes parmi ceux de sa génération. Les seuls livres dont on se souvînt étaient ceux des études ; et cela suffisait à les détourner des autres. Mais Jocelyne ne s’en était pas moins inscrite à la Société d’Études et de Conférences, ainsi qu’à la Ligue de la Jeunesse Féminine. Les mardis et vendredis, un voile blanc sur la tête, elle faisait à l’hôpital Sainte-Justine du service bénévole pour les pauvres.
Progressivement, les choses et les jours l’avaient ainsi faite. C’est alors que, n’ayant plus qu’elle sous les yeux dans sa maison désormais presque déserte, Garneau avait découvert en sa fille non plus une enfant pour qui le monde entier n’est que jeux, ni même une jeune fille pour qui le monde est chastement sexué et la vie une route engageante vers l’amour et le mariage, mais bien une personne humaine et étrangement profonde.