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CHAPITRE

III


IL y avait un air qu’Hélène chantonnait souvent de sa voix pâle et toujours quelque peu absente. Une mélodie lente et pure comme ces complaintes populaires qui fleurissent soudain sur les lèvres du petit peuple sans que personne ne puisse dire jamais quand et de qui elles sont issues ; mais cette chanson d’Hélène, que Michel aimait aussi, semblait avoir une qualité humaine différente, sans aucun de ces artifices traditionnels que les trouvères paysans affectionnent si souvent.

La mère ne savait point de nom ni même de paroles à cette mélodie. L’enfant le lui avait un jour demandé ; elle avait simplement répondu :

— Il n’y en a pas, Michel.

— Mais, où l’as-tu apprise, maman ?

— Je ne l’ai pas apprise, Michel, je l’ai toujours sue.

C’est vainement qu’elle avait cherché, dans sa mémoire, de qui elle pouvait tenir l’air qui charmait l’enfant et qui si souvent autrefois l’avait endormi ; nulle part ailleurs il ne l’entendait jamais.

Le rythme en était lent, quasi triste, d’une tristesse ni morbide ni poignante mais apaisante comme un soupir. Cela était très court : au commencement une phrase presque monocorde répétée deux fois, en écho ; puis une variante brève vers l’aigu ; enfin un retour à la voix du début, la même phrase ; pour finir tout uniment sur la tonique, sans fioriture aucune.

C’est cette romance sans paroles que Michel tenta d’exprimer d’abord sur son violon tout neuf. Il avait trouvé dans l’étui une brochure illustrée qui indiquait comment tenir l’archet, délicatement, avec le bout des doigts de la main droite ; et comment placer la main gauche sur le manche, le bras demi tendu, les quatre doigts chevauchant les cordes tandis que la tête appuyait solidement sur la mentonnière d’ébène. Avant de tirer un son, il s’était essayé ainsi, tout seul ; il avait pris la pose et les yeux fermés s’était imaginé qu’il jouait l’Air de la Tempête, composé par lui, joué par lui, joué pour lui.

Les premiers essais avaient été décevants ; de la boîte vernie sortaient des sons affreux ; non pas même des sons, mais des grincements. Il s’était obstiné, cherchant à donner une note, une seule qui fût ronde et pure

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