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LES ANTIPODES

Elle eut pour Jocelyne un sourire, pendant que d’un coup d’œil elle palpait l’étoffe de son manteau. Puis elle regarda le jeune homme avec des yeux accueillants et un peu gourmands qu’il ne sût point voir.

— Bonsoir, Cora ! Et, comment va-t-elle ?

— Ah ! Je pense qu’elle n’en a pas pour bien longtemps. Avant-hier, on aurait cru qu’elle allait passer. Mais elle ne se plaint pas. Elle est pas plaigneuse, Clorinda.

Cora parlait à voix basse afin que du cabinet noir, à côté, dont une mince cloison les séparait, sa sœur ne pût les entendre. Et aussi pour ne point éveiller les trois jeunes enfants qui dormaient déjà dans la pièce de façade, le salon-boudoir-dortoir. La voix de Cora était monocorde, sans vivacité comme sans tristesse. La jeune fille était seulement dépitée qu’on l’eût surprise la tête hérissée de tortillons que fixaient des épingles. Elle toussait, elle aussi, comme de longtemps avait toussé Clorinda. Mais elle, au moins, suivait la clinique de l’Institut Bruchési. On lui avait recommandé la campagne. La campagne ! quand ses douze dollars par semaine étaient indispensables à la maison !

Jocelyne défit son paquet. Il y avait là un fichu tricoté qui avait appartenu à sa mère, une bouteille de jus de viande et un ruban rouge pour les cheveux. Quant à Adrien il était passé tout droit dans la cuisine où, sur la table, il vidait son sac des légumes et des viandes qui le remplissaient. Puis il partit chercher de la crème et de la glace dans un restaurant-épicerie du voisinage.

— Vous savez, mamzelle Jocelyne, dit la mère d’une voix sourde et lasse, cette pauvre Clorinda, elle ne peut quasiment plus rien avaler, à cette heure. Rien que de l’eau et un peu de crème au chocolat.

— Ah !… Vous avez reçu les couvertures ?

La toux de Clorinda parut crever le carton du faux mur. Dans le couloir étroit, le poêle cylindrique jetait une chaleur étouffante et sèche. Germaine Chênevert conduisit Jocelyne auprès de sa fille.

— Comment ça va, ma petite Clorinda ? Attend, je vais remonter tes oreillers.

Devant « la visite » elle exagérait les soins, comme si elle eut craint qu’on l’accusât de négliger son enfant.

— Papa n’est pas là ? La voix de la malade était presque éteinte.

— Il est sorti. Il est allé voir pour une position à Viauville. Il va sûrement rentrer d’un moment à l’autre.

Clorinda sourit avec effort à Jocelyne qui s’étant avancée dans la ruelle du lit lui avait amicalement pris la main.

— Bonjour, Jocelyne. Tu es gentille d’être venue me voir.

— Bonjour, Clorinda. Tu as l’air mieux, aujourd’hui. Je me demande même si tu n’as pas commencé à engraisser.

— Oui. Ça va pas mal mieux. Je pense qu’avec l’été…