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LES ANTIPODES

Puis aux questions de Jocelyne et de son père il se contenta de répondre par une moue qui n’avait rien de rassurant et un mouvement de tête qui ne signifiait rien. Enfin il murmura :

— Il est bien tard, monsieur Garneau, bien tard. Enfin !… Sans plus attendre, je vais donner les ordres nécessaires et prescrire.

— Pensez-vous, docteur, qu’il y a encore des chances ?

— Patience et courage ! Courage et patience. Nous verrons demain… Garde ! Apportez le dossier et faites venir mon interne.

On installa près du lit une bonbonne d’oxygène et un goutte-à-goutte chargé de toniques cardiaques. L’interne passait toutes les heures, vérifiait le fonctionnement de l’appareil et la position de l’aiguille dans la veine. Puis il donnait une piqûre et, bien stylé par ses patrons, partait sans un mot.

Le mercredi midi, Robert ne put venir, retenu qu’il était à l’usine. Le soir, avec Jocelyne, il s’attarda auprès de sa femme. Les traits tirés par cinq nuits d’insomnie, la jeune fille allait et venait sans bruit. Tantôt elle humectait les lèvres ou les tempes de sa mère ; tantôt, simplement assise dans un fauteuil, elle tenait longuement dans la sienne la main aux ongles bleuissants qui pendait atone hors des draps. Prête, malgré sa fatigue, ses pieds brûlants, à se lever au moindre murmure. Pour Lionel, son père l’avait envoyé à la maison chercher un dossier qu’il voulait repasser pendant sa soirée de veille. Il tardait.

— Je ne sais ce que fait ton frère. Cela fait bien deux heures qu’il est parti avec l’auto.

À onze heures et demie, il n’avait pas encore reparu. Animée par l’oxygène, une touche de rose aux joues, Hortense semblait devoir sommeiller.

— Écoute, Jocelyne. Je pars pour la maison. D’ailleurs je ne veux pas me coucher trop tard ; j’ai une journée de chien, demain. Je vais prendre un taxi. Si… tu as besoin de moi, appelle-moi au téléphone.

— Bien, papa… Bonsoir.

Dans son désarroi, elle eût voulu se serrer un moment contre lui, sentir autour de son cou les bras paternels et appuyer son chagrin trop lourd sur cette forte poitrine d’homme. Mais pas plus que d’habitude il n’eut de geste vers elle. Il sortit de la chambre.

Dans le corridor déjà vidé par la nuit prématurée de l’hôpital, les derniers visiteurs partaient en sourdine, glissant sur la pointe des pieds après un « Bonne nuit » chuchoté. On avait éteint les plafonniers. Il ne restait plus que, de loin en loin, quelques lampes basses à ras de plancher. Près de chaque porte les vases de fleurs, posés par terre hors de la chambre pour la nuit, faisaient un chapelet de taches violentes.