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LE POIDS DU JOUR

Et… une légère purgation. C’est ça. Oui, une purgation. Je vais passer à la pharmacie.

Une heure plus tard, le docteur LeMay, finalement rejoint, n’hésita pas un instant.

— Grave ! C’est grave ! Mais une intervention d’urgence devrait la sauver. C’est une hémorragie interne. Un cas rare. Heureusement, vous m’avez atteint. J’appelle l’ambulance et l’hôpital.

— Ah ! Je vous accompagne.

— Non. Restez plutôt ici. Je vous appellerai dès que ce sera fini. Prévenez les enfants… On ne sait jamais, bien que…

Le lendemain, dimanche, Hortense allait un peu mieux. Mais elle avait encore des moments de demi-inconscience où son esprit s’égarait. Jocelyne ne quittait point sa mère et s’était fait installer un divan dans le minuscule boudoir attenant à la chambre d’hôpital. Robert y était venu à midi. Il y passerait dans la soirée, un peu troublé bien que sans tristesse réelle. Pourvu qu’elle se remît bientôt. Car il avait des affaires importantes à régler et un voyage à Québec dont il espérait beaucoup.

Le mardi, dans l’après-midi, l’état de la malade devint décidément alarmant. Bien qu’elle ne fût pas inconsciente, Hortense restait inerte dans son lit, les yeux vagues, la bouche entr’ouverte. Chaque respiration tendait les cordes de son cou maigre tandis que chaque pulsation donnait à la tête un petit mouvement saccadé presque ridicule. Puis elle sombra rapidement. Oubliant qu’avant-hier encore il était pleinement optimiste, le docteur LeMay mit Robert au courant du danger menaçant. Venu visiter la malade dès après le dîner, il prit le mari à part et l’entraîna dans le corridor où régnait une odeur mêlée, — œillet et désinfectant, — qui évoquait de façon mal opportune l’atmosphère des salons mortuaires.

— C’est le cœur qui m’inquiète, mon cher Garneau ; c’est le cœur. L’opération, elle, a été un succès. En tant que chirurgien, je ne puis qu’être satisfait. Mais… nous avons affaire à un mauvais terrain, plus mauvais que je n’aurais cru.

— Mais, est-ce qu’on ne pouvait pas… avant l’opération…

— Mon cher Garneau, la chirurgie est une science positive. Pour ce qui est de la médecine !… En tout cas, j’ai fait appeler mon confrère le docteur Bastien en consultation. Je souhaite simplement que la médecine réussisse aussi bien que la chirurgie.

LeMay savait passer la main à propos. De la sorte, il se trouvait toujours quelqu’un d’autre pour signer le certificat de décès.

Le professeur Bastien examina longuement la malade. Il lui ausculta méthodiquement la poitrine, le dos, le côté droit, le côté gauche. Il percuta la région du cœur d’un doigt magistral, à la façon d’un pianiste virtuose.