Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
129
HÉLÈNE ET MICHEL

contenir ce qui vient d’y éclater. Il lui semble que s’il était surpris, ce serait… il ne sait quelle épouvantable catastrophe. L’idée d’avoir à dire quelques mots, d’avoir à expliquer, l’épouvante. Car il lui semble que rien autre chose que son secret, son misérable secret que tout Louiseville connaît, ne pourrait jaillir de ses lèvres.

Il ouvre avec une lenteur précipitée la porte extérieure qui grince aigrement.

— Monsieur Garneau, monsieur Garneau. Est-ce que je vais dire à…

Mais il s’est jeté dehors. Il ferme violemment la porte. Il descend en courant, en deux bonds, les huit marches du perron comme un enfant après quelque méfait. À pas trébuchants et précipités, il s’enfuit, tournant le dos à tout ce qu’il connaît, à tout ce qui peut le connaître. Il fuit, du pas inhumain de celui qu’en rêve un spectre monstrueux poursuit.

D’un coup il a tout compris, d’un coup le monde s’est ouvert à ses yeux.

La bienveillance protectrice, depuis toujours, de celui qu’il appelait « parrain » !

La patience étonnante de celle en qui il voyait la plus parfaite des mères !

Les colères et le martyre, oui, le martyre de celui qu’il appelait à regret son « père » !

Une seule chose désormais emplit le monde : sa honte.