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HÉLÈNE ET MICHEL

Michel comprit que dans l’intervalle on compulserait son dossier et il partit sans inquiétude. Il se rendit sans tarder chez monsieur Lacerte à qui il avait téléphoné.

Le vieil homme d’affaires habitait rue Saint-Hubert, entre Ontario et Demontigny, une de ces maisons à perron monstrueux construites naguère par des commerçants à l’aise alors que le quartier était encore bien vu. Il avait loué d’une vieille fille le salon double de l’ancienne maison bourgeoise. De la moitié sur rue, il avait fait une sorte d’étude remplie de papiers et de journaux épars et dont on reconnaissait la destination à l’énorme bureau à cylindre, près de la fenêtre. Un paravent de soie, vaguement chinois, cachait à demi la seconde moitié, côté cour, où était le lit, la commode et la table de nuit sur laquelle traînaient des faux cols souillés à côté d’un verre où le lait avait marqué.

Tout cela recevait des fenêtres de la façade une lumière grisâtre, en grande partie dévorée par la couche de poussière grasse qui dépolissait les vitres et par les rideaux de damas où les trous faisaient des motifs imprévus.

Monsieur Lacerte, qui ne l’attendait pas si tôt, parut gêné que Michel le surprît à onze heures, encore en chemise de nuit et en pantoufles.

— Je me suis couché tard, hier soir. Nous avons discuté d’affaires jusqu’à des deux heures du matin. Excuse le désordre ; je suis sur le point de déménager. Un appartement neuf rue Rachel, près de la rue Saint-Denis. Beaucoup mieux. C’est plus dans l’Ouest. Tu verras.

Il enleva de sur une chaise un paquet de buanderie encore ficelé, chercha des yeux où le poser et le glissa tout simplement sous le lit.

— Et alors, Michel, te voilà à Montréal !

— Eh oui !

— Tu n’as pas trop de peine à te retrouver.

— Mais non. Je vous assure que je commence à m’y reconnaître pas mal. Vous auriez peine à m’écarter.

— Et… tu es allé à la banque.

— Bien sûr. C’est d’ailleurs pour mes affaires que je suis venu à Montréal. J’ai vu le Chef du personnel quelques minutes. Je dois retourner le voir demain. Et aussi le Gérant général, probablement. Il a paru bien disposé. Je ne sais pas encore ce qu’ils vont m’offrir, mais je suis bien décidé…

— As-tu parlé… ?

— … à obtenir ma nomination comme gérant ?

— Bon. Mais as-tu parlé au Chef du département des prêts ?

— Je n’ai pas eu affaire à lui.

Monsieur Lacerte parut ennuyé. Il passa plusieurs fois la main sur son menton où la barbe non rasée faisait une espèce de moisissure grise et courte qui crissait sous les doigts.