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CHAPITRE

XVIII


IL  y avait longtemps que Michel rêvait de ce voyage à Montréal. Jamais pourtant il n’eût songé que son désir dût se réaliser en pareilles circonstances ; et qu’au lieu de s’y rendre en compagnie de sa mère, comme il l’avait souvent imaginé, il s’y trouverait seul.

Lorsqu’il avait parlé à son patron de son idée : prendre deux semaines de repos et les passer à Montréal, le notaire l’avait regardé d’un air stupéfait : « Mais tu ne peux pas partir, Michel ! Qui est-ce qui va faire ton travail ? »

— Voyons donc, monsieur Jodoin, depuis trois ans que je suis à la banque, je n’ai pas eu une seule fois des vacances, des vraies vacances, comme tout le monde.

— Comment, des vacances ? Pourquoi faire, des vacances ? Est-ce que j’en prends, moi, des vacances ? Est-ce que les affaires en prennent, des vacances ?

Il haussait les sourcils avec une violence inaccoutumée qui dressait vers le ciel les trois grands poils menaçants de son sourcil gauche ; et il suçotait son caramel avec un bruit impatient.

Michel était néanmoins d’humeur à ne point se laisser intimider. Aussi bien sa religion à l’égard de la banque avait-elle subi quelque dommage depuis qu’il avait appris la nomination et la venue prochaine d’un nouveau gérant ; tandis qu’il se voyait apparemment condamné à rester encore simple comptable et pour combien d’années !

Il consentit cependant à quelque délai. D’ailleurs ses affaires, et celles de sa mère, avaient besoin d’être ordonnées, pour minces qu’elles fussent.

Il remit le logement, cette petite maison dont sa solitude de célibataire n’avait désormais que faire. La séparation pourtant lui fut douloureuse. Avec Hélène, dont le souvenir restait accroché à ces murs défraîchis, il avait connu là un bonheur qu’il savait ne devoir jamais retrouver aussi plein, aussi calme, aussi velouté. Pour lui désormais, et jusqu’à ce que plus tard s’édifiât son propre foyer, ce serait la simple chambre garnie : un lit, une commode, une petite table, deux chaises ; le cabinet de toilette et le lavabo en commun avec les autres logeurs étrangers ; et le sentiment d’un lieu de passage où l’on n’entre que pour s’en évader le plus tôt possible.

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