CHAPITRE
XVII
LUCIEN BIGRAS fit les choses de façon
remarquablement soignée. La mère de Michel était sa première cliente
depuis qu’il était revenu de Montréal où, pendant un an, il avait appris
à la Mutuelle de Frais funéraires, le noble et digne métier d’entrepreneur
de pompes funèbres. Hélène étrenna le corbillard de bois noir aux quatre
angles duquel des anges, vernis comme des nègres, annonçaient aux
populations le jour éternellement futur de la résurrection. Michel n’avait
demandé un service que de quatrième classe ; mais Lucien lui en avait
donné un de deuxième, conscient qu’il était de se faire une réclame opportune.
De la maison à l’église, ganté de noir et le visage solennel, il avait
précédé le cortège, les yeux obstinément fixés devant lui. Derrière le
corbillard, tiré par deux chevaux à la grande admiration de la petite ville,
suivait le bref défilé.
La mise en terre terminée, Michel quitta le cimetière et revint seul à la maison qu’il avait laissée une heure auparavant dans le brouhaha. Monsieur Lacerte, son parrain, avait dû aller à quelque affaire avant que la fosse ne fût comblée ; il s’en était excusé.
Le fils entra sans bruit. Par un geste dont il avait l’inconsciente habitude, il retint la porte de la main pour qu’elle ne claquât point. Il ôta sa casquette et l’accrocha à sa place ordinaire : la patère brisée du porte-chapeau de chêne, à gauche du miroir. Après quoi il passa dans le petit salon-boutique.
Pendant le service, comme on faisait maintenant à Montréal, tout avait été remis en place par Louis Barrette, l’employé de Bigras. Il avait enlevé les accessoires funèbres et poussé les meubles à l’endroit qu’ils occupaient depuis des années, le long du mur, et qui se reconnaissait à ce que les bouquets de violettes du papier-tenture y avaient gardé un peu de leur fraîcheur première.
Il restait encore au milieu du petit salon un espace libre où d’ordinaire était le comptoir de modiste. C’est là que tout à l’heure Hélène avait reposé sur les tréteaux masqués de noir, ses mains ivoirines croisées sur le crucifix avant que de passer pour la dernière fois ce seuil et de s’en aller