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HÉLÈNE ET MICHEL

Hélène ne répondait point. Mais ses allusions et bientôt ses anecdotes se firent plus fréquentes malgré la répugnance de son fils.

Or ce qui revenait ainsi à Hélène, après tant d’années, c’était l’époque de ses amours avec un Ludovic Garneau que jamais n’avait connu Michel ; et qui ne ressemblait en rien à l’ivrogne dont il gardait un souvenir si épineux.

— Sais-tu, Michel, que lorsqu’il venait me voir chez maman, à Maskinongé, il m’apportait presque toujours des fleurs, quand il pouvait en trouver ! La neige n’était pas fondue qu’il arrivait avec des chatons ; puis c’étaient des petites fleurs blanches et roses qui ne duraient pas mais qui étaient si jolies. Ensuite les violettes, puis plus tard les lilas. Et cela continuait ainsi tout au long de l’été jusqu’aux neiges. Cela faisait rire les autres de le voir arriver avec son bouquet ; mais il savait combien ça me faisait plaisir. Il en ramassait partout le long de la voie du chemin de fer. De sorte qu’à la fin je n’avais qu’à regarder ses fleurs et je savais s’il était allé à la jonction de Berthier ou au ruisseau Lapointe.

Michel ne disait rien, mais il serrait les lèvres et sentait durcir son cœur. Hélène continuait. Si bien qu’un jour le fils comprit, rien qu’à la façon que la mère eut de le regarder après une autre anecdote du temps des amours. Il sentit, bouleversé, qu’elle voulait corriger ce qu’il y avait d’amer dans le souvenir qu’il gardait de son père. Elle pardonnait, elle qui avait eu tant à souffrir !

Il lui en voulut un peu d’oublier si facilement.