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HÉLÈNE ET MICHEL

Notre Dame des Oliviers qu’elle invoquait contre les éclats de la foudre ; et d’autre part, hors du sanctuaire des élus, les gens qui ne croient à rien, payens, athées et protestants, qui se livrent à toutes les débauches et glissent sans recours droit en enfer.

Dernièrement, toutefois, sa religion était devenue plus active. Durant les heures qu’elle passait dans son lit et que de vagues douleurs faisaient si longues, elle s’était mise à dire des chapelets, puis des rosaires, et enfin des « neuvaines de rosaires » et des « guirlandes de chapelets ». Pour occuper son esprit, elle les offrait à l’intention de son fils, de ses connaissances dont elle apprenait qu’elles étaient malades, de ses parents et amis défunts et, en bonne catholique, aux « intentions du Saint-Père ». Désormais, et dès Michel parti, elle commençait sa journée et suivait un ordre qui peu à peu s’était établi. Sa Sainteté Pie X était le dernier sur la liste ; après quoi elle recommençait.

Mais lorsqu’elle ne se leva que quelques heures par jour, ces intentions ne lui suffirent plus ; c’est à peine si elle était ainsi conduite au début de l’après-midi. Il lui fallut donc s’ingénier à trouver de nouvelles intentions. De cette recherche elle s’était fait une espèce de jeu plaisant, chaque fois cherchant à se faire à elle-même une surprise par l’imprévu de ses propres trouvailles. Elle avait ainsi prié pour le Premier ministre du Canada, pour le Roi d’Angleterre dont elle avait demandé à Dieu la conversion, pour le chef de la Franc-maçonnerie (s’il n’était pas trop tard). Dernièrement elle avait encore trouvé mieux. Parmi les vieux livres de classe de Michel, en cherchant autre chose, elle avait déterré un atlas-manuel de géographie. Et tous les midis, désormais, alors que sa liste habituelle était épuisée, elle ouvrait le livre au hasard d’une carte. Elle fermait les yeux et mettait le doigt sur le point noir d’une ville inconnue :

— Le rosaire que je vais dire maintenant, annonçait-elle à voix haute, je vais le dire à l’intention d’un jeune homme qui s’appelle Michel et qui reste à…

Elle lisait le nom :

« … à Saint-Pétersbourg. »

Le suivant était —

« … pour une femme de quarante-deux ans qui s’appelle Hélène et qui reste à… »
des yeux elle épelait le nom étrange et difficile :

« … Santiago. »

Si bien que pour elle, désormais, sur le chapelet du monde était enfilée toute une série de villes dans chacune desquelles vivaient une Hélène et un Michel dont la conversion à la foi catholique était tout doucement et sans qu’ils le sussent en train de se faire.