Page:Ringuet - L’héritage, 1946.djvu/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.

99
l’étranger

gouillement de l’eau de rose. Puis il me dit en son mauvais anglais :

« Monsieur le docteur, ne soyez pas surpris. Ma demande est banale ; et elle ne l’est point. J’espère toutefois que vous accéderez à mon désir, que vous me ferez la faveur… »

« — De quoi s’agit-il, monsieur ? De quoi souffrez-vous ?

« Je cherchais toujours à mieux distinguer le visage voilé par les deux obscurités de la chambre et de son immense barbe noire. Et je ne percevais encore que la robe claire au-dessus de quoi flottait — c’est le mot — deux prunelles lumineuses, gênantes. Car il ne me quittait pas des yeux.

« Je viens de loin, docteur, de bien loin. Je viens de l’Iran… pardon, de la Perse, comme vous dites. C’est un voyage pénible pour un homme de mon âge ; je ne suis plus jeune. Je regrette de l’avoir entrepris, mais il fallait… c’est la dernière fois. Jamais jusqu’ici je n’avais quitté mes montagnes. Et ce climat, ce climat auquel je ne suis pas habitué… »

« — Allons monsieur, de quoi s’agit-il ?

« — Un instant, docteur. J’ai bientôt fini. Voilà… Voilà… J’aurais besoin de quelque chose. Voyez-vous, nous autres Orientaux nous avons des habitudes, des besoins, différents des vôtres. Enfin… Je vais parler franchement. Nous vous laissons à vous autres, Occidentaux, le goût affreux des… comment dites-vous… des stupéfiants, qui rétrécissent l’esprit et rendent fragile le fil de la vie. Mais nous avons, nous, le haschich… — non, je n’en use pas — le haschich qui ouvre à ses fidèles les merveilleuses campagnes du rêve. Et nous avons surtout le secourable, le bienveil­lant opium, dont j’use parfois, comme d’un remède, d’un… tonique. Allons docteur, ne cherchez pas sur