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l’étranger

« Il y a… une douzaine, oui, une bonne douzaine, d’années, j’étais un soir à mon cabinet. Un sale temps. Un sale soir de fin d’année de malchance. Le téléphone sonna.

« C’était le bureau d’un grand hôtel de la ville. On m’y demandait, disait-on, à la chambre 472. J’ai la mémoire des numéros, vous le savez.

« Les clients étaient encore rares ; je m’y rendis aussitôt un peu intrigué mais point ennuyé.

« Le commis lut dans son registre :

« Le 472… le 472, voilà : un monsieur… Naib Mohammad, c’est bien cela, Naib Mohammad. »

« — Un Syrien, apparemment. D’où est-il. Des États-Unis ?

« — Il est inscrit comme venant de… Iran.

« Nous haussâmes tous deux les épaules avec en­semble.

« — Et vous êtes sûr qu’il a demandé le docteur Dalbret ?

« Le commis me tendit une feuille de papier d’hôtel sur lequel était écrit, maladroitement, mon nom et le numéro de mon téléphone.

« L’ascenseur… « Fourth floor » … 454… 460… 66… 70… 472. Je frappai.

« — Come in !

« Dans la chambre, pas de lumière autre que celle qui venait par la porte, entr’ouverte, de la chambre de bain. J’attendis.

« Doctor ! Please sit yourself. » Je me tournai surpris vers le coin de la chambre d’où avait jailli la voix.

« Le lit était défait, les oreillers par terre, empilés sur le tapis et là-dessus mon… client. Maintenant que mes yeux s’habituaient je distinguai d’abord sa robe d’intérieur, dont le bas, très ample, s’étalait à ses pieds comme une mare ; une tête effilée par une espèce de