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l’amant de vénus

perfections qu’il pouvait imaginer en une femme. Il avait installé son image au mur, fixée par une série de pointes à tête de cuivre qu’il polissait pour les faire reluire comme de l’or, juste au-dessus de la tablette qui servait à déposer son peigne et sa brosse à dents. Et sous l’image il avait mis un lampion probablement chipé à quelque église. Ce lampion, il l’allumait devant Vénus chaque fois qu’il avait fait quelque rencontre agréable, comme pour faire amende honorable de s’être laissé aller à des amours humaines et temporaires.

— Parfaitement, reprit Marsan, et quand le lampion s’allumait, si nous lui demandions : « Alors elle était jolie ?… » Il répondait, d’un air déçu et repentant, toujours la même chose…

Nous continuâmes en chœur :

— … Oui… Mais ce n’était pas ma Vénus !

— Qu’est-ce qu’il est devenu, Sabourin ? Notaire, dans quelque fond de paroisse ? Fait-il encore des vers : il les faisait bien, dans le genre symboliste.

— Ce qu’il est devenu ! Je ne vous ai jamais raconté ça ? (C’était Marsan qui parlait.) Oh alors ! Écoutez. C’est une histoire un peu longue mais qui en vaut la peine.

Il se servit un whisky bien tassé et s’installa.

« Il y a sept ans, non, huit ans, je suis allé en Europe, accompagnant mon ministre. Nos affaires faites, je décidai, au lieu de rester à Paris jusqu’au dernier moment, de rallier Cherbourg et le paquebot en passant par la Bretagne que j’avais toujours voulu connaître. L’avant-veille de mon départ je couchais à Saint-Malo. Arrivé dans l’après-midi, je m’étais installé à l’Hôtel de France…

— … et de Châteaubriant, compléta quelqu’un.

— Exactement. Je dînai à loisir, puis fis conscien­cieusement le tour classique sur les vieux remparts.