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L’AMANT DE VÉNUS



C’était Édouard, Édouard Legendre, que la fan­taisie avait pris de nous réunir. Cela n’arrivait plus souvent ; à peu près jamais. La vie, qui nous avait autrefois assis sur les bancs durs de la même université, nous avait depuis séparés ; et à mesure que nous avançions en âge, nous cherchions de moins en moins à nous retrouver ainsi.

Ce que nous avions été liés pourtant ! Nous formions une petite bande connue que les étudiants regardaient un peu comme une ménagerie ; et certes nous faisions figure de bêtes sauvages dans ce milieu trop apprivoisé à notre gré. Nous étions le « groupe des bohèmes ». Ce qui nous agrégeait et en même temps nous séparait des autres, c’était une curiosité commune pour des choses extra-universitaires : les vers de Guillaume Apollinaire, les romans d’André Salmon, la musique de Ravel, rien de bien révolutionnaire pourtant. Mais cela nous donnait de nous-mêmes une assez haute opinion que nos condisciples ne partageaient évidemment point ; ce qui d’ailleurs nous était un autre sujet de naïve satisfaction.