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l’immortel

Réveil me ressaisissait pour me projeter plus violemment contre le mur de la réalité.

Hier je me suis buté à l’os. J’ai senti que le sommeil, atteint d’abord, s’était réfugié derrière cette muraille que ma main ne peut forcer. Et, à mesure que je faisais plus violente l’inutile pression, je percevais dans mon crâne, mais EN DEHORS DE MON MOI, comme d’une autre personne logée en moi, une joie railleuse. Alors j’ai frappé ma tête de mon poing. J’ai heurté le mur et le coin d’un meuble jusqu’à meurtrir ma chair et faire couler mon sang. Tout a été inutile.

Je suis perdu, perdu sans rémission, plus perdu pour avoir entrevu le triomphe de l’homme sur cet insa­tiable vautour : le RÉVEIL.

Maintenant IL s’installe en moi pendant que le SOMMEIL auquel je n’ai plus la force de résister amollit ma force et annihile ma volonté.

JE SUIS PERDU, IRRÉMÉDIABLEMENT PER­DU.

13 juin — Oh ! trouver le moyen de percer ce mur et d’y déloger la goule repoussante qui dépèce ma cervelle vive !

15 juin — Espoir ! Vient d’arriver à Montréal un très grand chirurgien, dont la spécialité est de tra­vailler le cerveau. Peut-être consentira-t-il ! J’irai demain matin.

16 juin — C’est fini. Fini. Il a refusé. Il m’a regardé d’abord avec étonnement quand je lui ai demandé de me trépaner et d’aller détruire sous mon crâne ce qu’ils appellent le « centre » du sommeil que je lui indiquais et que JE CONNAIS, quoi qu’il en pense. Il a refusé. Sans doute parce qu’il m’a deviné pauvre. Il n’a donc pas réfléchi quelle renommée serait la sienne après un si incroyable succès, une réussite comme celle dont je suis sûr. Si j’eusse été riche…